Copie non autographe réalisée par Lefebvre - Kunel de Félicien Rops à Inconnu. s.l., 1890/11/10. Bruxelles, Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique, 8810/t4/p344, 8810/t4/p345 et 8810/t4/p346
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Ce 10 mars 1891
Cher Monsieur,
je venais à peine de vous écrire « que je vous écrivais » lorsque la Fièvre Intermittente, la seule chose que j’aie rapportée de Laponie, me jetait sur le flanc, et j’y suis resté un nombre d’heures incalculables, au point d’en oublier ou à peu près ma réponse. Je suis confus de vous répondre un mois et demi après avoir reçu votre lettre, mais je ne peux que constater mon incorrection et ma parfaite grossièreté. Il faut vous dire, un peu pour alléger mes fautes, que chez moi la Fièvre « Intermittente » est parfaitement : « mittente » tout simplement depuis six heures du matin, jusqu’à six heures du soir, et vice-versa ; de sorte que tout le temps que cela dure – et cette fois cela a duré longtemps, je suis dans la situation de ce personnage d’Edgar Poë, dont on avait roulé la cervelle sur une bobine comme un ver solitaire. Je vis à vide !
D’abord je dois vous avouer que votre lettre m’a charmé, oui, tout à fait. Puis vous m’appelez pas « Cher Maître » et votre lettre est bien jeune, bien vivante et un peu bruyante aussi, ce que j’aime fort. Ah non ! je n’en suis : ni à la Maîtrise, ni à la Cher maîtrise ! J’ai horreur de tout cela, jusqu’à la nausée ! Je suis un « bon compagnon », comme on est compagnon maçon, et je le veux rester toute ma vie, loin des honneurs et des gloires artificielles, par le simple cœur de notre métier, et du « verd laurier de Ronsard » :
« L’honneur sans plus, du verd laurier m’agrée » !
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dit le brave Vendômois. Le verd laurier me viendra peut-être, lorsque j’aurai fait quelque bonne chose, car jusqu’ici je n’ai rien fait qui vaille ; mais j’ai vraiment la passion de mon art, et avec cela, comme un forceps, on fait toujours sortir quelque chose ! Oui j’aime les jeunes, je les fréquente, je me trouve à l’aise avec eux. Tous ces gens « arrivés » me gênent, et leur vaste orgueil me semble entaché à la fois de ridicule et d’enfantillage comme les comédies-vaudevilles des vieux répertoires. Ils n’ont plus d’espérance, ils n’ont que de l’argent : et moi, qui en ai dépensé formidablement, je sais combien les bonheurs qu’il peut donner sont réellement courts, il est nécessaire de s’en foutre.
Le mépris complet absolu de tout Public, c’est le commencement de la Sagesse !
Ah çà, mais nous ne parlons pas du motif de votre lettre : vous donner « des conseils » sur le choix d’une « Académie » ? Quelle drôle d’idée que vous avez de me demander ces choses là. Je suis réellement embarassé. Je connais peu ces lieux là, nécessaires à ce qu’il paraît, comme beaucoup de lieux. Je crois que pour les gens bien doués, ils ne sont pas dangereux, et que l’on peut y apprendre l’orthographe du métier, – donc un atelier vaut l’autre. Le reste n’est qu’une question de local et de bien-être. En général l’atelier dont « le maître » ne s’occupe que peu des élèves, est le meilleur. – Allez chez mon ami Cormon, on n’y est pas nombreux, point important : pour travailler
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d’après le modèle il faut le voir. Chez Couture, dont j’ai eu l’honneur d’être l’élève pendant onze jours. Je n’ai jamais pu voir que le cubitus du charbonnier qui posait. Couture a interrompu ma carrière en me flanquant à la porte comme élève insoumis et sans idées. Ce : à la suite d’une composition, donnée par lui, exécutée par moi : la Résurrection de Lazare. Mon Lazare avec des bandelettes, momifié, avait exaspéré ce brave « Maître » : D’où l’expulsion ! j’ai toujours eu de la chance ! Dubois, lui, y est resté, mais il était à l’épreuve des recettes académiques, il les crachait en sortant, voilà tout.
Donc, allez chez Cormon, excellent homme, jeune, autant qu’il le peut, et aimable. Je vous donnerai une belle lettre pour lui, et voilà.
Il y a encore Laurens. Il a plus de talent que les autres, à mon avis ; mais cela n’est pas nécessaire pour diriger un atelier. D’ailleurs prévenez-moi de votre arrivée, venez me voir, nous causerons en bons camarades et tout cela, et nous arrangerons cela.
À bientôt, mon cher Monsieur S……., amusez-vous et travaillez gaiement : « Faut travailler ! sans cela les passions vont courir comme un sanglier fougueux et déchaîné me disait mon premier précepteur.
Bonne poignée de main confraternelle
Félicien Rops.