Brouillon de lettre de Félicien Rops à Karl [Charles] De Coster. s.l., 1863/00/00. Province de Namur, musée Félicien Rops, Amis/RAM/38, Amis/RAM/40 et Amis/RAM/41
Page 1 Recto : 1
/ adressée à Ch. de Coster.
… Quelques mots en courant Mon Cher Karl pour me soulager de mes tous vexations
J’en rage, & « je m’en fiche » en même temps : tous les journaux catholiques m’accusent d’avoir fait : « une page » anti-chrétienne en dessinant : un enterrement au pays wallon. Du diable si j’y ai pensé ! Il est toujours vexant de ne pas sentir sa pensée comprise, & de ne pouvoir dessiner la face appoplectique d’un bon curé de province & quelques bonnes têtes de suiveurs d’enterrement, sans s’entendre accuser, « d’attaquer la Religion » et de saper les bases de la Société & de la Constitution que l’Europe nous envie. J’en ai assez de ces bégueuleries & l’un de ces jours je leur en montrerai d’autres !* J’allais J’étais à Namur ne sachant que faire. l’idée d’aller aux fonds d’Arquet m’est venue. Tu ne connais pas les fonds d’Arquet ? une merveille ! un éboulis de roches grises et jaunes, tout des orchidées « tout plein » et personne ! Les gens graves ne s’aventurent pas en pareil lieu ! Ils vont
Page 2 Recto : 2
ils vont « au Casino » boire de la bière de Louvain, les riches prennent : une « bavaroise » toutes les voluptés ! – Et ces Fonds d’Arquet se trouvent là, tout près, à quatre pas de cette belle porte de Fer, que des crétins veulent dit-on démolir, pour faire un boulevard – naturellement ! .
En chemin je rencontre un enterrement. J’ai toujours eu un faible pour les enterrements Namur. On porte à bras ici, & les porteurs ont des capas noires à collets jaunes, léguées par l’Espagne qui font de belles notes sur le gris des routes. C’était un enterrement triste, celui là, c’est rare. Derrière le cercueil recouvert d’un drap riche, avec des têtes de mort « en vrai or » riant aux éclats, suivait un petit garçon anemié, .
Page 3 Recto : 3
ils vont au Casino, manteaux capas à collets noirs à collets jaunes, y léguées par l’Espagne, & qui sont curieux ne manquant pas d’imprévu d’aspect. C’était un enterrement triste, ce qui est rare. Derrière le cercueil, avec un drap riche, suivait « menant un petit garçon que né des cours de récréation sans air, & des verbes copiés dix fois, pour en punition d’un sourire. C’était lui, le petit le pauvret « qui menait le deuil » avec À ses cotés digne & protectant marchait un grand monsieur son petit nez rouge & de grosses larmes à travers les cils. À ses cotés digne & protectant ambulait un Monsieur : en deuil : le « Mon oncle » ou le Tuteur légal. En grand deuil aussi, le Monsieur, avec un habit qui portait le millésime de 1842, le Mr aya et qui faisait des plis dans le dos, le Mr ayant engraissé, et ne mettant depuis lors, et ne mettant son habit que le jour du
Te Deum
de la fête du Roi, & pour aller à la redoute de Mr le Gouverneur. – Un gros curé, goutteux
blanc gris des routes.
Page 3 Verso : 4
avec les bas tombant sur les boucles de ses souliers deux prêtres psalmodiant, lugubrement grotesques, encore enluminés par la digestion dérangée, un bedeau avec de la ouate dans les oreilles, deux membres mâles et femelle de quelques congrégation un enfant de cœur & un chien, c’est tout. Au cimetière, avec en plus le vieux fossoyeur « buveur de goutte » tout cela bredouillant ne manquait pas de lugubre & de drolêrie sinistre sous un ciel d’automne, gris, & cependant plus lumineux que les avec des échappées de lumière plus lumineuses que les blancs bleus des surplis. L’enfant de cœur pendant les derniers oremus aspergeaient le chien et les porteurs buvaient le pequet de circonstance. Cela m’a plu, j’ai dessiné, j’ai fait tout cela sur une grande pierre lithographique & voilà !
…….. Mr le ……. Si on avait enterré un bourguemestre avec son claque & son habit brodé par le même ciel, & avec les mêmes gueules en surplis il est probable que j’eusse dessiné cet « ensemble » avec le même plaisir.