Lettre de Félicien Rops à Maurice [Bonvoisin]. Strasbourg, 1879/01/12. Province de Namur, musée Félicien Rops, Bon/LE/64
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Mon Cher Maurice,
Me voici à Strasbourg, cela va t’étonner hein ? et par une merveilleuse neige. Il me semble que je me promène dans un Albert Durer. Nous sommes ici depuis quatre jours avec Gouzien qui m’a enlevé comme une pensionnaire pour aller à Weimar et à Munich, musiquer je ne sais pas encore quoi ou plutot entendre musiquer. ‒ Ces voyages qu’on n’a pas prévu sont toujours charmants et je suis enchanté d’être parti. ‒ Je t’ai écrit relativement à un billet de 500 frs resté en souffrance comme disent les bons industriels, à Paris et qui a dû te retourner. Les 500 francs te seront envoyés dans quelques jours à mon retour avec le montant des intérêts en retard et des frais – tout cela doit bien se monter à une vingtaine de francs me semble. J’espérais avoir une réponse de toi avant mon départ, car on ne sais jamais où tu es.
J’ai fait emballer avant mon départ trois eaux fortes et j’ai donné l’ordre de les faire expédier aux waggons lits
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de la rue Scribe. Il y en a une pour toi et je pourrai peut être te laisser l’autre qui est très rare parce que je connais un bonhomme qui en a une épreuve, et je pourrai me la procurer. ‒ Dans tous les cas dans dix jours au plus je serai à Paris. Écris moi poste restante à Munich (Bavière) J’y serai dans deux jours. ‒ J’ai un énorme besoin de voir la Pinacothèque et de monter dans la statue de la Bavaria. Mon Cher Ami c’est adorable de voyager l’hiver. Je devais partir pour Monaco mais cette petite excursion va m’empêcher d’y aller. J’ai fait avant de partir un grand diable de dessin – presqu’aussi grand que la tentation de St Antoine & que j’aurais bien voulu garder pour moi. Il est intitulé Πορνοχραθης – Pornocratie. Une grande femme nue la plus belle que j’ai pu trouver, nue comme une déesse, en bas de soie noire à fleurs rouges, grands
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gants noirs – gainsborough de velours sur tête blonde, les yeux bandés, debout sur la frise d’un temple bizarre, se détachant sur un ciel illuminé d’étoiles, est conduite par un cochon – à queue dorée – dont elle tient la laisse. Ma modestie m’autorise à dire que cela me parait très bien. – Dans le fond du ciel sombre des amours s’envolent indignés, pendant que sur le bord de la frise les petits génies de la peinture de la poésie & de la musique pleurent leurs illusions.
Cela est dans les mains de Sichel le marchand de tableaux et je crois bien que cela n’en sortira pas – Cela n’est pas léger mais cela est un peu nu avec ostentation, sans cela je t’aurais expédié la chose, mais tu m’as dit que tu ne voulais pas acheter de dessins légers ou du moins nus. Je parle de nudités dans le genre de St Antoine. J’ai conseillé à Sichel de faire faire des cadres à volets pour ce sujet la comme le cadre de la Tentation
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de Picard va le voir quand tu iras à Bruxelles chez Bonnefoy il est remarquable & cela te donnera des idées. ‒
À bientôt Mon Cher Maurice. N’oublie pas en m’écrivant de m’envoyer le montant des frais et les intérêts du mois en retard. Je ne veux pas que tu perdes cela par ma faute. Joins-y le montant chiffre du montant. Au dernier billet de Janvier – Je ne me le rappelle plus. ‒ Je parle du dernier qui doit écheoir le 30 janvier.
Bien À toi ‒
Fély