Lettre de Félicien Rops à [Armand] Rassenfosse. Corbeil-Essonnes, 1892/03/22. Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, II/6957/19/103
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Demi-Lune 22 mars 1892
Mon Cher Rassenfosse
j’ai votre lettre depuis Samedi, mais je n’ai pu y répondre. À la suite de la congestion, il m’est resté une telle faiblesse de l’œil droit, que mon oculiste m’a formellement défendu de lire, d’écrire, de voir en un mot !
J’ai recu avec un très très grand plaisir votre carte d’échantillons de vernis mous sur métal. Je réponds à vos numéros
Les nos1 et 2 ont des grains très fins mais avec ces grains là vous ne pourriez pousser une morsure un peu vigoureuse sans que cela piquat partout. Cela ne peut servir alors que comme état.
Le n°3 est le meilleur c’est grainé et assez fin.
Le n°4 – (tête de religieuse) est bien, mais, – toujours des mais ! – les noirs sont trop sourds. il fallait écarter le travail pour permettre à la morsure de donner des noirs. Joli grain pour la figure.
N°5 – Trop gros grain, trop gros papier :
N°6 – idem
N°7 – Les gris de ce n° sont remarquables. Les teintes foncées trop plates.
Comme ton je préfère la femme nue que vous m’avez envoyée il y a quelques jours : nue jusqu’à la ceinture. (Il n’est pas laid ce modèle !) Il y avait là les gris des chairs qui étaient très fins et des noirs vigoureux. Il est vrai que tout cela était dans de plus
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plus grandes dimensions, donc plus facile à traiter.
Vos papiers sont superbes & je vais dès que le courage va me revenir, et bientôt j’espère ! , vous envoyer des résultats. Grand merci.
En attendant comme je retourne Vendredi prochain à Paris, je profiterai de cela pour vous envoyer, – enfin ! – des cuivres, un acier et une épreuve d’une vieille petite planche reprise par moi pour le journal d’Uzanne. J’espère enfin que la mauvaise chance qui s’acharne « après moi » comme disent les Parisiens, va se lasser. J’en ai assez. Tout cela est le résultat de grandes tristesses et de grands ennuis. Croiriez vous que je n’ose pas aller me promener aux Champs Élysées, pour ne pas voir les petits qui y gambadent ? C’est idiot, mais le petit Jacques ne me sort pas de la tête. – Le temps guérira cela, comme il guérit tout, mais ce sera long. Le travail ! Il n’y a que cela et je ne peux travailler pour l’instant ; alors les bleus « Devils » les diables noirs reviennent !! Ce n’est pas par peur de la mort ! Je suis heureusement d’une race, où le mot peur n’a pas d’importance. Je vous dis cela sans forfanterie, il n’y a pas de mérite au fond : je suis né comme cela ; j’ai passé par bien des dangers, ils ont même pour moi un vague charme. Jamais visage d’homme ne m’a troublé, et ne me troublera ! – La congestion cérébrale est une très belle fin, la mort des hommes aimés des Dieux pensaient les Latins.
– Mais je n’ai rien fait de bon ni de beau, & mon nom ne restera pas sur les lèvres de ceux qui viennent. J’aurais voulu, je voudrais réaliser quelques uns de mes rêves, de mes grands rêves. – Je ne dois pas me plaindre, j’en ai réalisé beaucoup et non sans quelque grandeur, j’ai vécu ma vie au lieu de la peindre. Cela a peut être été mon tort. Puis je voudrais retourner en Amérique, et
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courir encore un peu dans la Prairie, revoir quelques belles amies de là bas, souvenirs de flirt, que je retrouverais mariées, femmes de cow-boys ou de clergymans, & affreusement fidèles. Que sont devenues les Maud et les Bessie de 1887 ? – Bessie du moins m’a laissé sa méchante petite tête dont j’ai fait la Sphynge du frontispice de Verlaine ! Mon Cher ami, la femme a pris trop de place dans ma vie. Je l’ai trop aimée, mais je lui dois le peu que j’aie fait. Elle inspire les grandes choses mais elle empêche de les exécuter !
Enfin ! Si je passe l’année sans rouler sous la table, comme un Namurois au dessert, j’ai belle chance d’en réchapper. Voilà !
Conseillez à Moreels d’exposer encore. Son envoi avait été très remarqué. – Il n’y a pas longtemps que je sais cela, je lui en écrirai.
À vous bien, Mon Cher Rassenfosse.
Félicien Rops
Si le procédé permet la retouche facilement, ce sera parfait.
– Le papier gélatiné est mauvais il ne prend pas le crayon et le crayon sans marquer, fait un trait comme une ligne d’encre. Le véritable avantage c’est de pouvoir faire une planche di capo avec une seule morsure.