Lettre de Félicien Rops à [Armand?] [Dandoy?]. Paris, 1880/06/06. Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, III/215/8/10
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Paris 6 juin 1880
13 Rue Labie Porte Maillot
Mon Cher Vieux,
J’ai appris hier par un Belge appelé Lintelo, peintre de son métier, que Namur ouvrait « dans quelques jours » une exposition de peinture, – et cela m’a quelque peu « stupéfait ». J’ai envoyé, au Cercle des Arts de la rue Vivienne dont je fais partie, un tableau d’un mètre: le vieux port de Marianna à Séville et un autre plus petit : La Confession dans la vieille mosquée de Cordoue. Cette exposition s’est ouverte le 1er juin & j’y ai un joli succès. Les deux tableaux ne m’appartenant pas, je n’ai pu les vendre, sans cela je les aurais vendus cinquante fois à peu près. – Je crois que ces tableaux méritent leur petit succès, c’est du soleil ou plutôt de la lumière. – Ces deux tableaux eussent été envoyés à Namur, si cette noble cité à laquelle je dois le jour m’avait fait l’honneur de m’inviter à prendre part à son exposition.
– De la part d’une ville qui compte six peintres et un graveur sur pierre dans ses murs, cette omission est une faute à mon humble avis. – Quant à mon adresse, tu la connaissais, – tu m’as toujours écrit : 17 rue Mosnier, et les lettres arrivent toujours. On adresse des lettres à Mr Rops à Paris – et elles arrivent. Les facteurs tous les soirs lisent
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les adresses de lettres en souffrance & ils réclament celles de gens qui ont changé de domicile. Donc les lettres arrivent toujours.
– Je ne t’en parle absolument que comme manque de procédé, vis à vis d’un artiste namurois; qui a à Paris une certaine réputation, & pas banale je t’assure. – C’est une grossièreté gratuite, & Paris vous déshabitue vite du manque de savoir vivre de « chez nous » ce qui fait que ces choses là vous sont plus sensibles ici, o[ù] l’on est entouré de bonne grâce.
– J’ai beaucoup voyagé Mon Vieux, toute cette année, j’ai eu une commande de travaux en Espagne, j’ai été jusqu’au Maroc. J’avais fait toute la Hongrie et le Danube jusqu’à Belgrade quelques mois auparavant. Tu vois que je ne me repose guère. Il est très probable que je partirai pour Cuba & l’Isthme de Panama, l’été prochain. Tu sais que les voyages ont toujours été ma passion. À chaque nouveau voyage, il me semble que mon cerveau s’agrandit, on n’a pas idée de la somme de connaissances que l’on acquiert en quelques mois. Puis comme je ne débourse pas un centime, cela n’en est que plus agréable. Je serai très heureux de te montrer les études faites pendant ces tournées-là. Notre éducation de montagnard ardennais, de rameur & de nageur m’a servi énormement. En Hongrie il faut voyager à cheval ou descendre le Danube en ramant. En Espagne c’est le mulet pour la montagne, comme j’avais eu la carriole en Norwège. – Les villes qui dominent et qui vous restent dans l’esprit sont PesthVenise et Séville. – Et toujours ma boîte à couleurs ! – J’ai peint en bateau, à cheval à mulet, en voiture, en gondole, en radeau. – Si j’étais libre & si Paris ne me tenait pas
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par la réputation & le travail je me fixerais à Naples ou à Séville. – Ce sont les deux vrais coins de paradis d’Europe. Madrid a le climat dur, brûlant, & balayé par le vent de la Guaderrama. – Séville & Naples ont des printemps éternels comme celui de l’île de Calypso de Mr de Fenélon. – Je suis resté longtemps à Séville, j’avais loué – à la journée (1 fr 50 !) un appartement où je pouvais peindre, sur les bords du Guadalquivir un fleuve avec de l’eau & des navires ce qui est rare en Espagne, & j’ai travaillé là pendant que mes compagnons allaient visiter des mines de la Sierra Nevada accompagnés de vingt gendarmes, – naturellement. Ces jours de Séville ne se peuvent oublier. On sent là une plénitude de vie que l’on ne sent nulle part, on est plongé dans l’ivresse de la lumière & des fleurs. – Ah les Arabes ! quels artistes ! Ils ont été les plus fins, les plus voluptueux, les coloristes de tous les peuples. Quelle épanouissement d’art ! Comme tous les arts d’Europe sont lourds & peu vivants à côté de leur art. C’est le rêve incarné. – J’aurais voulu ne jamais quitter l’Alhambra de Grenade & j’ai peint dévotement cette cour des Lions qui a été ce que l’homme a fait de plus rayonnant sur la Terre. Sans eux l’Espagne ne serait qu’une terre brûlée et féroce, ce sont les Maures qui leur ont donné tout depuis les palmiers jusqu’à la beauté de leurs femmes. – Mais quand il faut lutter avec cette lumière, le bon peintre ne voit plus sa palette qu’en noir. On dirait qu’on peint avec de la boue. On n’ose pas regarder làbas ses études, mais quand on déballe cela au retour, quelle satisfaction : sous le ciel du nord les études éclatent comme des joyaux qu’on aurait rapporté de là bas.
Nous avions avec nous un photographe pour les vues de monuments & je t’assure qu’il avait de la besogne, – j’aurais bien voulu que tu fusses à sa place, pour moi.
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J’espère aller à Namur en Aout, je te préviendrais afin que tu ayes le temps de faire quelques bonnes études avec moi. – Je voudrais bien te donner quelques leçons – sans vouloir « faire mon professeur. Mais tu sais que quand j’apprends quelque chose de nouveau par expérience, je te le repasse toujours.
Je t’embrasse Mon Vieux ainsi que ta femme. À bientôt. Et je te prie de faire en mon nom une véritable réclamation à l’administration de l’Exposition qui a agi avec une «
À toi
Fély