Numéro d'édition: 0155
Lettre de Félicien Rops à [Claire de Donéa]
Texte copié
Expéditeur
Félicien Rops
Destinataire
Claire de Donéa
Lieu de rédaction
Séville
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
LEpr/199
Collationnage
Autographe
Lieu de conservation
Belgique, Province de Namur, musée Félicien Rops, Province de Namur
Page 1 Recto : 1
Madrid
F.
Séville – La Florida –
Chère Madame,
Je reçois à l’instant ici au fond du nid de fleurs où m’ont jeté mes destinées errantes, une lettre de vous, bien charmante & dans laquelle vous me faites le plaisir de me demander un « ex- libris » pour un de vos amis. Cette lettre adressée à Paris, rue Mosnier 17 ou je n’habitais plus, lorsque la lettre est arrivée, a été adressée par la portière à mon atelier rue Labie où je n’habitais pas encore ! Comme il n’y a pas de concierge rue Labie, le facteur du quartier l’a retournée au bureau Central. Lorsque je suis parti pour l’Espagne j’ai écrit au bureau Central de Paris de me faire adresser toutes mes lettres à Lérida chez un ami à moi où elle est arrivée un beau jour. Suivant ma louable habitude & fort agréable d’ailleurs, de faire toujours le contraire de ce que je projette, je ne suis pas allé à Lérida. – Mon ami Barado ne me voyant pas arriver à Lérida a envoyé la lettre à Valence où j’étais. Elle a couru après moi de Valence à Cartagène de Murcie à Madrid de Madrid à Grenade de Grenade à Malaga, de Malaga à Séville, elle a été ouverte deux fois ! Comme très malheureusement elle ne renfermait pas de secrets cela n’a pas d’importance.
– Je ferai à mon retour à Paris ( : 13 rue Labie Porte Maillot) tout ce qui peut vous être agréable & l’éventail que je vous dois – ô honte – depuis si longtemps ! mais
Page 1 Verso : 2
ici je n’ai rien de mon horrible matériel de graveur. On ne fait pas d’eau-forte ici, Chère Madame, on caresse le sein des guitares & l’on baise la main aux dames, ce qui vous autorise à m’appeler : Don César De Baisant ! –
Séville est un de ces coins de terre où l’on voudrait ne pas mourir. Si vous croyez que je vous oublie, détrompez vous Chère Madame & amie, je n’oublie jamais les vraies femmes que j’ai eu le bonheur de rencontrer dans la Vie. Bien souvent votre fine silhouette de Parisienne exilée est venue, à l’heure douce que l’on appelle ici : « Chiquita Noche » & chez nous « chien chien & loup » se profiler dans les roses qui grimpent jusqu’au plafond de l’atelier. C’est une heure délicieuse à Séville, l’air frais du Guadalquivir entre par les miradores & le soleil se couche la bàs dérobant dans le pourpre & dans l’or les baisers qu’il donne à la Terre. – Le modèle, la Gitana, ou la Maja qui a posé de la journée, redevenue libre, a décroché la Guitare & vous joue une de ces malagueñas rêveuses que les Arabes ont laissé à l’Andalousie comme ces voyageurs des Contes qui sèment les diamants sur leurs routes. – Vraiment, l’on sent alors la vie forte, grande, libre que j’ai toujours cherchée, vous battre aux artères. – L’on vit.
Vous êtes musicienne, je vous rapporterai à Bruxelles un de ces cahiers de malagueñas qui se vendent ici & vous comprendrez non pas la musique Espagnole mais la vraie musique Andalouse, ce qui vaut mieux. – Vous n’avez pas Séville ni les palmiers ni les rosiers fous, ni le Soleil d’Afrique mais vous avez le bonheur & cela remplace tout. Avec la permission de Léon je baise en Sévillan que je suis, & en artiste, & en amoureux de jolies choses, vos fines mains de marquise qui feraient ici s’envoler les Sonnets dans le ciel bleu, & (rien qu’en se montrant) vibrer tous les cœurs & toutes les guitares de Séville à Alicante. Et il y en a formidablement des cœurs & des guitares ! lés uns chatouillant les autres !
Page 1 Verso : 3
Rappelez moi Chère Madame & amie au gracieux souvenir de Madame votre Sœur, & à Léon, ce gros heureux, et jalousé ! une bonne vieille poignée de main de son ami, – & du vôtre n’est ce pas ?
Félicien Rops
chez MrAraujo, artiste peintre À la Florida – Puerta de Carmona
Séville. (Espagne.)
P.S. J’ai loué ici avec un de mes amis un atelier & je crois bien que je vais habiter Paris & Séville alternativement à moins que le diable, mon ange gardien n’en décide autrement. Que voulez vous mes défauts m’empêchent de vieillir.
« Tant que l’on espère, on ne vieillit pas » et j’espère toujours ! Quoi ? Je n’en sais rien. Si vous le savez vous me le direz, vrai ?
Détails
Support
1 feuillets, 3 pages, Vergé, Crème.
Dimensions
201 x 249 mm
Mise en page
Écrite en Plume Noir.
Copyright
musée Félicien Rops (Province de Namur)