Lettre de Félicien Rops à [Eugène Rodrigues]

Page 1 Recto : 1

Excuse moi, Mon Cher Vieil ami, excuse nous : moi & mon mufflisme. Voilà deux mois que je ne fais que rager contre les architectes, les peintres, les platriers, les maçonneurs, les fumistes, les parqueteurs, les zingareux, & autres canailles dont le métier consiste à ne rien faire & à toucher de l’argent pour cela. Je repars pour les champs, encore sans te voir, – j’ai besoin d’air & de repos, je souffre de la «Cabeza» & je suis d’une humeur de bull-dog !

Dans huit jours, le quinze, je serai installé à peu près. Viens me voir, te prie Jeudi 15. Si tu le peux avant d’aller à ton tribunal : N°1 Place Boieldieu Figure-toi que je n’ai pas encore vu l’Exposition, ni la Tour Eiffel !! Ah ! Comme art naturellement, je ne fais rien qui vaille j’ai essayé de dessinoter dans les coins, cela ne marche pas !! Je suis une brute. Il faut que je me renouvelle entièrement ou je suis fichu ! Besoin de changement de carapace comme les crustacés. Cet atelier me fait peur, & me glace d’effroi. Il va falloir encore chercher, lutter pour tâcher de bien faire, & rien n’arrivera encore !! rien, Rien que de l’art bebète « qu’un autre aurait pu faire » ! Et alors pourquoi le faire ? J’ai relu les lettres de Flaubert, j’ai passé

Page 1 Verso : 2

par tout cela, & je connais plus qu’artiste au monde, ces affres & ces colletages avec les fœtus monstrueux des créations qui ne peuvent prendre vie. Je ne sais ce qui adviendra de moi & de cette œuvre ratée qui est mienne, mais je sais, seul, que je suis une Probité Artistique, & que même en faisant mal j’ai essayé de faire bien. Ah l’âme placide & paterne des Detaille & des Bayard que je l’envie !! Être Satisfait de son œuvre couver ces placentas d’un œil amoureux & orgeuilleux, Nom de Dieu, que cela doit être bon ! J’y creverai moi, à faire & surtout à ne pas faire ce que je voudrais faire ! Que le Diable m’emporte ! Cela me consolerait, Vrai ! & excuse mes morosités d’ermite !