Lettre de Félicien Rops à [Homme inconnu]

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Je t’écris sur un « commencement de vernis mou qui s’intitulera : Folie Flamande. C’est fait sur un fond d’aqua-Tinte – encore : un essai. Entendu pour le petit voyage à pied jusqu’à Milly. Je pars aujourdhui Samedi à la Demi-Lune. J’en reviens Lundi. Je travaille Lundi & Mardi. Mardi à trois heures je t’attendrai. Je resterai à l’atelier jusqu’à cinq heures.

jusqu’à cinq heures ! retiens cela toi qui arrives toujours en retard de trois jours.

Dans tous les cas, si je ne te voyais pas Samedi, tu me trouverais Dimanche matin Gare de Lyon :

Si nous pouvions, (Écoutez ! Écoutez ! comme on dit à la Chambre des Communes,) je me répète : si nous pouvions partir Mardi soir à 6h. ¾. cela vaudrait mieux ! Nous coucherions à la Demi-Lune, & nous pourrions partir de bon matin sous belle escorte d’alouettes & de pinsons dans les brouillards lumineux. Nous irions à Milly ou autre part. Prends ta carte de la foret ; la mienne est enfouie sous un tas de « Larousse » que je n’ai pas le temps de remuer. Il fait exquis ici ! Nous avons eu une semaine de vrai printemps. J’espère que cela va continuer. Le Luxembourg d’où je viens est un enchantement. Tout y est frais, vibrant, ensoleillé. Diable de ville, ce Paris, me disait le peintre W qui se promenait avec moi : « Elle a une âme, il n’y a pas moyen de ne pas l’adorer ! Absent, j’y pense ! j’ai vu le monde entier « deux fois », & je reviens toujours ici ! ». Et moi donc ! – Je ne veux me dire que mon Luxembourg danserait dans Central Park ou dans le Fairmount-Park de Philadelphie qui n’est pas un Parc mais une contrée ! – on dirait que les vieux marronniers d’ici nous connaissent, & qu’ils se disent : Ah ! voilà Rops, mauvais bougre, n’ayons pas l’air historiques, laissons nous aller, ne la lui faisons pas à la « Sénateur » ou à l’Académicien, il « nous engueulerait » & nous appellerait : Tas de Greffés ! Pendant que nous parlions, une petite modiste qui dégringolait probablement de Montrouge, rattachait sa jarretiere, le pied trop haut, accroché au treillis d’une clôture, montrant une cheville de bronze noir, fine & nerveuse comme celles qui donnent des allures si

parisiennes aux gazelles qui s’étaient faites mes amies la bàs, au fond du Sahara.

Elle était jolie, pimpante & éveillée, comme une fauvette des haies. – Tiens ! – regarde, dis-je à W tu ne verras cela qu’ici. J’en ai vu mille « autre part » & sous toutes les longitudes ! Ca n’est pas ça ! Il n’y a de printemps qu’à Paris, les autres pays, où forcent la note, & ont des printemps qui sont des Étés, ou ont des printemps à nez rouge comme les printemps Bruxellois. – Au doux pays français qui s’appellent Wallonie & dont je suis un des fils respectueux & tendre, on appelle en belle « langue d’oil » les jeunes filles que l’on voit en Mai : rire & courir au Diable : des « maïons ». – À Paris toutes les petites filles sont des maïons, & le Diable est partout. & leur parle derrière tous les taillis ; – Seulement le piaillement des moineaux parisiens, plus bavards que les oiseaux d’Aristophane empêchent de l’entendre. En voilà : un devis !

À toi Mon Vieil ami

Fély

Si nous pouvons emmener W avec nous, tu verras quel animal intéressant il est cet Anglo-Américain qui a de bonnes lunettes dans son crâne roux, avec des cheveux comme le poil d’aisselle des guenons. Il est venu chez moi d’emblée, en me disant : Vous êtes un méprisant comme moi, nous n’irons pas aux Aquarellistes, vous vous en foutez n’est ce pas ? Allons au Luxembourg ! Et comme j’hésitais, il a beuglé : Pas au Musée ! est que vous me prenez pour un cul ! Aux arbres !! Aux arbres !!! Il n’y a qu’eux de bien dans le quartier. – Et des appellations drôles pour les Confrères ! Il appelle . le « petit cochon myope » D… « le sergent » D « le Centaure en coton de la Belle Jardinière !

et c’est d’autant plus drôle que ce Gaélique est fils de lord, qu’il adore parler a un cheval comme à un homme, & mieux encore qu’à un Académicien !