Rops lu par...

Lettre de Félicien Rops à Karl [Charles] [De Coster]. s.l., 0000/00/00. Bruxelles, Archives et Musée de la Littérature, ML/03713/0010

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Tu as mal lu, Mon Cher Karl tu as lu « Mme où il y avait Mlle » ce n’est pas ta mère mais ta sœur qui est venue à Namur, ce quiproquo de dépêches aura du moins servi à quelque chose, ma femme est enchantée d’avoir fait la connaissance de ta sœur qui lui est très sympathique et elles sont très bonnes amies.

Je regrette beaucoup de ne t’avoir pas vu à Paris, si tu m’avais appris ton arrivée au lieu de clabauder dans le vide, j’aurais pu te présenter en de « bons endroits » et te faire faire d’excellentes connaissances, – enfin ! nous remettrons cela au 15 aout.

Si j’ai quelques conseils à te donner, – et j’en ai ! fais-moi le plaisir de te fourrer entre les deux sourcils les simples paroles qui suivent :

1° Ne t’efforce pas de sauver la Société. –

2° Ne crois pas « aux républicains, ni les républicains »

3° N’écris pas dans les journaux qu’on ne lit pas ou qui ne sont lus que dans des coins du quartier latin par « la jeunesse enthousiaste » – laquelle jeunesse fera des notaires, des avoués, et des substituts de province dans quatre ans, et défendra

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« la société sapée dans sa base ». –

4° Enfin : Passe les ponts le plus vite que tu pourras – on est très bien au Quartier Latin, bon air et le Luxembourg, mais c’est surtout quand on a fait sa réputation de l’autre coté, – le quartier Latin n’est pas une rue – c’est une impasse, Murger l’a dit avant moi. –

5° Ne discute pas dans les brasseries, – la discussion est une terre stérile, on y perd une force qu’il vaut mieux jeter dans une ligne écrite – ne fut ce qu’une ligne.

6° Et je te le répète : Ne Sauve pas la Société !!

Venons à l’Uylenspiegel.

Je n’ai rien autre chose à te dire que ceci : J’ai trouvé un homme qui fera « les frais du livre » à compte et demi avec nous, & si nous trouvons mieux (et j’espère trouver mieux, vers le 15 aout) nous ne nous engageons à rien, il lâche le volume.

Dans trois semaines le livre de Leclercq sera

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fini – J’entame au galop Uylenspiegel, et pour la nouvelle année tu pourras voir ton nom au vitrines parisiennes.

Mais ne publie plus rien du livre ! Cela seul pourrait faire rater la chose chez les éditeurs. –

Expédie moi l’œuvre.

Travaille, Travaille, enferme toi et travaille, il n’y a qu’un travail entêté qui te fera arriver labàs, tu es en bataille rangée, en pleine mêlée ce n’est plus le moment de polir son fusil il faut tirer !

À toi

Fély

Ci-joint un petit mot pour un brave garçon de nos amis Antoine Hernette, il est roué à la vie de Paris, de bon conseil et assez lancé, de plus honnête et de bonne réputation, va le voir. –

– L’Uylenspiegel paraitra dans son format de 27 sur 38 avec ses quarante eaux-fortes ? plus des têtes de chapitre également à l’eau forte.

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Candide n’aura pas de lecteurs et claquera avant un mois, s’il est aussi mal fait que la Rive Gauche dans deux mois s’il est mieux fait, – Il y a depuis la voix des Écoles deux cents petits journaux qui tirent et tiraient à 15,000 qui sont morts de consomption. – Donne le moins possible d’Uylenspiegel à « Candide » Cela déflore, cela fait établir des jugements, et naturellement comme ils sont portés par des confrères, charmants lorsqu’ils vous jugent sont portés devant vous, et éreintants lorsque vous avez le dos tourné. –

N.B Ne crois jamais un Parisien crois encore moins un littérateur.

Peuple charmant mais jean-foutre. –

– Je l’adore, mais les forçats de notre pays sont plus honnêtes que les Prix-Montyon de Paris. – Les enfants y sont des vieillards, les vieillards des enfants et les femmes : des filles.

Tu verras ! –

Il y a dans un coin des Batignolles un petit salon donnant dans un petit jardin, le tout habité par une Belge : Mme Maton, la sœur de Wicart ; on y fait de la musique les jours où on s’ennuie et comme on ne s’ennuie jamais on n’en fait pas, – on y fume et on s’y sent à l’aise comme dans un petit coin de notre pays. – Demande à Hernette de t’y mener, on est là deux ou trois, on jabote sous les grands arbres, on se promène en rond autour de trois brins d’herbe, on parle de la waterland, – (tu éprouveras ce besoin là,) – on aime mieux la patrie quand on n’y est plus et qu’elle est représentée par une femme sympathique & bonne. – Cela repose de la France, – et l’omnibus des Batignolles ramène à l’Odéon. –

Inutile de montrer ma lettre, – j’ai des raisons pour cela.