Numéro d'édition: 1606
Lettre de Félicien Rops à [Homme inconnu]
Texte copié
Expéditeur
Félicien Rops
Destinataire
Homme inconnu
Lieu de rédaction
Paris
Date
1893/03/15
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
69430
Collationnage
Scan
Lieu de conservation
France, Paris, Ancienne collection du Musée des lettres et manuscrits
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Croquis
Croquis
Des Maléfices et Du pêché de Vénusté / FR
Paris emprès Pontoise ce quinzième jour de mars mil huit cent et nonante 3.
Rien encore de décidé Mon Cher ami, quand à cet appartement de l’hôtel des Blancs-Manteaux ! Il y a des mais, des pour, des contre ! L’intérieur est grand, digne, de bon & bel aspect, mais l’extérieur est répulsif, et platement populaire, sans le coté démocratico-artistique, de Montmartre, par exemple.
Puis le caractère, – ô combien muffle ! – du propriétaire influe sur les décisions à prendre : c’est qu’il est d’une laideur parfaitement repoussante ! & il habite son « immeuble » ! C’est comme si l’on vivait côte à côte avec un rhinoceros qui aurait eu la petite vérole, & qui en aurait gardé des tristesses ! Cela se rencontre dans les escaliers ces animaux là, & cela met en méchante humeur contre l’humanité. Et cela dans un hôtel qui ne devrait être hanté que par des minois retroussés, avec des mouches aux bords des lèvres carminées, et un bout de tété issant des cotonnades à fleurs ! – Enfin ! toutes ces courses inutiles & infructueuses de la « recherche du logement » font perdre du temps et des jambes. Mais quelle merveilles enfouies dans ce Marais ! Je ne le connaissais pas à fond, moi qui cependant suis un friand de la vieille pierre ! Il y a des intérieurs à surprises, je regrette vraiment que vous n’étiez plus avec moi ! « L’hôtel de Mr
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de Lamoignon « Premier Président du Parlement de Paris », l’hôtel de Jeanne d’Albret, l’hôtel de Dreux-Brézé ! des merveilles ! J’entre dans une rue que je ne connaissais pas, à la nuit. Je vois une entrée de bouge, audessus de laquelle se détache l’écriteau tant cherché : appartement, & vaste local à louer ; je fais vingt pas dans le « collidor » & dans une demi-obscurité, je me trouve sous un portique à délicieuses colonnes ioniennes, ayant devant moi une cour sombre audessus de laquelle s’entrecroisent des balcons, des terrasses et des fenêtres à croisillons, comme dans un décor andalou. C’est ici que j’entre dans « le rêve » ! À une de ces terrasses à rampe fleurie et fleur-de-lysée, se promène un peu tristement & gravement, un enfant de douze à treize ans, une grande canne à la main. Mince, élancé, fluet, serré dans un jersey noir comme dans un pourpoint de deuil. De longs cheveux blonds lui tombent dans le dos, c’est Louis XIII enfant errant dans tout ce Passé. Pas d’autre vie mêlée à cette évocation, pas même la voix d’un concierge pour vous rappeler votre temps, et son côté terriblement « trottoirien ! » C’était une jolie apparition vraiment que cet éphèbe mélancolieux, aux dernières lueurs de ce crépuscule de février ! – Cet hôtel était celui de Françoys Myron ! » le physicien, myre, magycien, et guarisseur du roy Charles IX ! – Si cet enfant ne meurt pas de tristesse en cette ruine, & s’il n’a pas une âme de droguiste en gros, comme il y en a tant dans le quartier, il faut qu’il sorte quelque chose de cette puberté en communion avec ces pierres fantomatiques. Un avatar doit dormir en cet enfant, quelque petit fils de mage abstracteur de quintessence & fouilleur de toxiques dont le laboratoire s’éclaire là bas dans le fond.
Si j’étais riche j’achèterais l’hôtel du vieux Françoys Myron, et nos fioles à vernis mols n’iraient pas trop mal avec les dames-Jeanne et les verres de Venise à potions myrifiques qui doivent giser en quelque coin sous la poussière de trois siècles.
J’irai quand vous viendrez Mon Cher Ami, vous montrez tout cela. Peut être l’enfant au jersey noir sera-t-il rentré dans l’Histoire. Nous verrons cela.
Quelle ville que Paris ! que disent les usines comme Berlin, New-York ou Chicago ! Des villes qui n’ont pas eu de grande vie Passée ! Mais Paris quelles multiples existences ! Et quelle
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ville de race & quelle artiste que celle-là ! Et comme elle nous aime, cette grande dame, cette belle bourgeoise, cet éveillé trottin, cette forte fille-peuple, cette voyoute de barrières ! Comme elle est fière & toquée de ses poètes, de ses peintres, de ses musiciens, de ses cabotins, de ses orateurs, de tous ceux qui la font vibrer, comme elle les baise aux lèvres, se fleurissant « à leur intention » et comme ils se sentent bien chez eux, dans son chaud et parfumé giron les derniers du Rêve !
Ah ! la belle magicienne elle aussi !
« Bonne aux lèvres comme aux fièvres ! »
– En attendant : Travaillons ! Je me sens jeune toujours ! comme au temps où à Namur, en Wallonie, je courais après les jupons « del feïe Brichard, li feïe do boled’gi » dont les cheveux étaient poudrés de blanc, comme Freya la déesse du Nord, et dont les baisers sentaient la pomme et le bon pain qu’elle pétrissait de ses caressantes mains !
Qu’est-elle devenue ? – ô bêtise & méchanceté de nous ! Qu’est-elle devenue la blonde enfant, – si joyeusement jolie, qui m’aimait « de tout son cœur » et qui avait si peur pour son petit galant, et pour elle aussi ! des calottes de Damoclès du Père Brichard, – quand nous revenions à la nuit d’avoir été nous aimer à pleine bouche, dans les genêts « do chestia » à la Montagne des Biches !
« Où est celle qui fust heaulmière !? »
À toi, & à bientôt
Félicien Rops
Détails
Support
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Dimensions
indisponible x indisponible mm
Copyright
Ancienne collection - Musée des lettres et manuscrits