Numéro d'édition: 2985
Lettre de Félicien Rops
Texte copié
N° d'inventaire
8810/t4/p348+8810/t4/p349
Collationnage
Tapuscrit Lefebvre - Kunel
Date de fin
2024/12/26
Lieu de conservation
Belgique, Bruxelles, Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique, Archives de l'Art Contemporain
Page 348
(1892 ?)
La Roche-Claire
Demi-Lune par Essonnes
(Seine-et-Oise)
Monsieur,
Je reçois seulement votre lettre, je suis assez souffrant depuis deux-moi, et je ne peux avant quelques jours vous envoyer les renseignements que vous me demandez, mais je serai tout à votre disposition.
J’ai été, je crois, non pas l’ami, mais le plus fidèle et le plus respectueux compagnon de Baudelaire, j’ai allégé sa tristesse en Belgique, comme il le disait dans la dédicace d’un portrait qui m’est cher. Baudelaire se trouvait chez moi à la campagne, lorsqu’il y a ressenti ces premières atteintes de la maladie qui devait l’emporter. Cette maladie, croyez-le bien, n’avait aucun rapport avec les excès de boisson que l’on a injustement reprochés à Baudelaire. Les causes, si les effets ont été prompts, n’en ont pas été moins longuement préparées et sont de diverses sortes. Nous en parlerons ensemble, et sans trop de vanité, je crois que seul avec Malassis, nous pourrions jeter quelques lumières sur les jours sombres qui furent les derniers du poète. Il se défiait de tous ceux qu’il voyait et ce n’est guère que dans notre intimité qu’il mettait son cœur à nu. Cœur aussi bon et aussi aimant que son esprit était rebelle aux attendrissements épandus.
À bientôt donc, cher Monsieur. Je crois qu’une
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conversation sur ce sujet sera nécessaire d’ailleurs, car il y en a bien des choses que la parole peut souligner et que la plume rendrait d’une façon quelconque.
Nous reparlerons de la proposition que vous me faites et qui a trait à la « Revue des Lettres et des Arts. Je n’y contredis pas, mais j’ai bien des choses à me reprocher vis-à-vis de M. Frédéric Masson. Il a été avec moi et toujours d’une rare amabilité. Il m’a chargé pour sa revue d’un travail fort intéressant. Je me trouvais en ce moment, et je m’y trouve encore d’ailleurs, dans un assez triste état de santé ; il m’a écrit des lettres fort courtoises auxquelles j’ai à peine répondu et j’ai suspendu le travail commencé sans même le prévenir. Et de tout cela je m’accuse fort. Je ne suis pas d’ailleurs tout a fait coupable. Il y a dans la vie des moments de mollesse et de lâcheté où, comme les bœufs, on a envie de se coucher dans le sillon et de ne pas aller plus loin. Et certaines afections (sic) portent à ces affaissements. Je vais mieux, et avec les forces, la bonne volonté me revient. J’espère réparer mes tors vis-à-vis d’un homme d’un vaste esprit et dont en plus l’aménité est si grande qu’elle ajoute au repentir.
Félicien Rops
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