Numéro d'édition: 3260
Lettre de Félicien Rops
Texte copié
N° d'inventaire
1972/A/831/1
Collationnage
Scan
Date de fin
1888/04/27
Lieu de conservation
France, Paris, Fondation Custodia
Page 1 Recto : 1
Paris 27 avril 1888
Mon Cher Monsieur Boyer
Vous n’y êtes pas : – il n’y a rien du tout que les résultantes de mes propres travers cérébraux, plus impardonnables que des vices ! À certaines saisons je me sens pris de nostalgies indéfinissables, de besoins irraisonnés de fuir : « plus loin » ; du dégoût de tous les êtres, – & de moi, en chef !! – Une clairvoyance sinistre de notre noire bêtise me fait rêver des œuvres plus sinistres encore ; & je me fuis moimême, comme un reflet des actuelles humanités. Je me sens sans force, sans puissance, & sans talent pour rendre les laideurs d’aujourd’hui ; & je souffre de mon inanité, & de mes anéantissements. Pendant ces heures tristes, relégué dans quelque coin perdu, ou errant comme un chien mordu dans des paysages mornes, je n’ai souci de rien. Je ne réponds plus aux lettres, & les vibrations dans l’air des paroles humaines me sont cruelles ou odieuses. J’ai ma menstruation morale ! Je change de peau, comme les lézards, & j’attends ma résurrection. Elle est venue ! & je me sens meilleur, & consolé de toutes sortes de douleurs anonymes & d’amorphes désespoirs. – Je n’ai Mon Cher Monsieur, qu’à vous remercier de votre persistance à vouloir m’être agréable, & vous y apporterez un courage dont je suis quelque peu confus, mais reconnaissant, vraiment. C’est à moi à vous prier d’excuser ces sauvageries Danubiennes. – Vous avez été devers moi, plus qu’aimable, & je n’ai pas même eu cure de vous remercier de votre délicieux envoi, qui a fait la joie de ma fille.
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Donc me voilà à peu près revenu de la « Dissolving Country » du « Black Castle » perdu dans les brouillards ou m’enlèvent parfois les mauvais génies que les fées mes marraines n’ont pu conjurer à ma naissance, & qui me font payer leurs dons & les bonheurs passés.
Votre affabilité me pardonnera ces infirmités périodiques & inéluctables, que le printemps guérit souvent.
Dans l’Inde, dit Xavier Marmier, il existe un oiseau, dont la voix est si douce au cœur qu’elle fait oublier toutes les douleurs ; – pour moi le chant de l’alouette montant dans les premiers ciels bleus, chasse les peines d’antan & me rend aux éternelles & trompeuses espérances qui nous bercent jusqu'à la mort, doucement.
Je vous serre la main bien affectueusement
Félicien Rops
À partir de Mardi prochain je serai tous les jours chez moi de deux à quatre & votre visite me fera plaisir, je vous l’assure.
Détails
Support
1 feuillets, 3 pages, Papier de qualité, Gris-vert?.
Mise en page
Écrite en Plume Noir.