Du simple curieux au chercheur aguerri en passant par l’amateur éclairé, nombreuses sont les personnes à se plonger dans l’abondante correspondance de Félicien Rops. L’artiste et épistolier namurois possède de multiples facettes des plus fascinantes. Dans ce focus, nous mettons à l’honneur le docteur Robert Delhaye, colonel et médecin-chef à la base militaire de Florennes pendant un quart de siècle et qui, une fois à la retraite, s’est passionné pour la chasse à la bécasse. Il est d’ailleurs l’auteur de nombreux ouvrages sur la question : 365 histoires de Bécasse (2012), Envoûtantes Bécasses (2015), B comme Bécasse (2017).
À travers les illustrations que Rops a réalisées pour l’ouvrage de son beau-père, Théodore Polet de Faveaux (1801-1866), Robert Delhaye a découvert Félicien Rops au détour d’un aspect assez méconnu : sa passion pour la chasse dans les bois du château de Thozée où la famille de l’artiste s’est installée au début des années 1860.
Musée Rops : De quand date votre intérêt pour Félicien Rops ?
C’est au travers de ses illustrations pour Suarsuksiorpok ou Le Chasseur à la Bécasse que j’ai fait la connaissance de Félicien Rops. Paru en 1862, aux éditions Ernest Parent, à Bruxelles, sous le pseudonyme de Sylvain, cet ouvrage est l’œuvre de Théodore Polet de Faveaux, le beau-père de l’artiste.
Musée Rops : Y a-t-il un événement qui a nourri votre intérêt ?
Il y a deux ans, au début du confinement, je me suis mis en tête d’écrire un petit ouvrage sur ce Sylvain, et c’est en toute logique que je me suis dirigé vers le Musée pour obtenir des informations. C’est tout naturellement que j’ai orienté mes recherches vers la riche correspondance de Félicien Rops.
Dès les premières recherches sur le site « Ropslettres », j’ai rapidement découvert les qualités d’épistolier de Félicien :
« Les braconniers même respectaient « ceux de Thozée » parce qu’ils savaient bien que leurs femmes et leurs enfants malades trouveraient toujours une bouteille de Bordeaux qui leur rendrait du cœur au ventre et leurs joues roses ; qu’on ne faisait pas fourrer en prison le père de famille qui, par une veille de kermesse, tirait un lapin à l’orée du bois ; que nos chevaux de pays – pas des anglais ! – donnaient de bon cœur un coup de collier pour rentrer la moisson attardée du voisin ; que le chariot du château roulait le long des routes pour faire les corvées des pauvres et les charriages d’hiver. Parce qu’enfin nous souffrions de leurs souffrances et que nous vivions de leur vie, que la pluie qui mouillait notre dos trempait leur échine ; qu’ils se ressemblaient bien entre eux, le châtelain guêtré de toile, pas bien riche, même un peu pauvre lorsque les foins pourrissaient dans les pâtis, et ce rude laboureur courbé sous les rafales d’octobre et fouissant au hoyau le schiste des plateaux. »
Pour lire l’entièreté de la lettre : n° d’éd. 0029
La correspondance de l’artiste contient bien des propos sur l’ouvrage de son beau-père, sur ses chasses et sur la bécasse.
Musée Rops : Que nous apprend la correspondance de Rops sur Le Chasseur à la Bécasse paru au tout début de la carrière de Rops en tant qu’illustrateur ?
Le 15 avril 1877, Félicien écrit à Maurice Bonvoisin (1849-1912), plus connu sous le pseudonyme de Mars :
« Je vais t’indiquer les moyens de parfaire ta collection & quant à moi je t’y aiderai fortement […] As-tu le Chasseur à la Bécasse avec 35 figures par Rops chez Gouin éditeur à Paris ? par Polet de Faveaux mon beau père. »
Pour lire l’entièreté de la lettre : n° d’éd. 3069
À l’époque, les journaux de Namur écrivaient M. Polet-de Faveaux avec un trait d’union.
Surprenante confidence au collectionneur Gérard-Charles Archbold-Aspol en 1890 :
« Je vous prie d’accepter, en bon souvenir, le volume de la « Chasse à la Bécasse » que votre « jeune ami » illustrait vers 1857 ou 58. Tel qu’il est ce petit livre, je vous l’envoie et avec plaisir. N’eut-il été bon qu’à cela, cela suffit pour m’ôter le remords de l’avoir fait. »
Pour lire l’entièreté de la lettre : n° d’éd. 1526
Les illustrations dateraient donc de l’époque du mariage de Félicien, c’est-à-dire quelques années avant la parution du livre ! Et quid de ce remords ?
L’artiste en donne une curieuse explication à Armand Rassenfosse (1862-1934) en 1893 :
« Sur manière noire ou sur aquatinte, on ne peut voir son crayon de retouche. Il faut dessiner « au jugé » comme on dit dans le « Chasseur à la bécasse », et au jugé on fait de mauvaise besogne !! »
Pour lire l’entièreté de la lettre : n° d’éd. 1796
Musée Rops : Vous parliez précédemment de ses chasses. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
Quelle verve :
« Les grands saules chantent dans le vent et les ormes prennent des airs sombres qui font présager l’automne. Les brouillards lumineux de septembre vont venir et me rappeler les jolis départs de chasse de mon enfance ; les chiens lâchés jappent dans les cours, Triquet le garde, déjà couvert de rosée, ayant « fait le bois », mon oncle guêtré, sanglé et sentant d’où vient le vent pour savoir s’il faut prendre les Marnières ou remonter la Grande Mailloterie… »
Pour lire l’entièreté de la lettre : n° d’éd. 0029
Dans une lettre adressée à une jeune femme, Félicien Rops semble se plaindre de son oncle [1] :
« Madame, je viens de recevoir un télégramme de mon oncle qui m’enjoint avec un entêtement de goutteux de prendre la direction de la battue aux sangliers pour laquelle il a fait ses invitations. Ce sont là de ces coups imprévus de la nommée Providence, qui vous font maudire à la fois la chasse, les oncles, la goutte & le bon Dieu. »
Certains de ses amis sont conviés à des parties de chasse. C’est notamment le cas de son éditeur Poulet-Malassis (1825-1878) en 1874 :
« Mon cher Éditeur, à dimanche, les cailles passent. N’oubliez pas vot’permis Mr Malassis ! C’est Triquet qui vous le dit ! Sans cela il sera obligé de sévir !! »
Pour lire l’entièreté de la lettre : n° d’éd. 0493
Félicien Rops était-il un « grand chasseur » ? Il faudrait d’abord s’entendre sur le sens précis à donner à cette expression ! Toujours est-il qu’en 1892 il prend encore le permis de chasse à Corbeil-Essonnes.
Musée Rops : La chasse à la bécasse occupe une place de choix dans l’histoire de la chasse depuis plusieurs siècles. Qu’en est-il de la pratique de Félicien Rops ?
Dans une lettre adressée à un certain Jean, il dit :
« Je suis ici occupé à rechercher la dernière bécasse ; – cette dernière bécasse qui est le gibier-fantôme que tout le monde a vu et que l’on ne trouve jamais »
Pour lire l’entièreté de la lettre : n° d’éd. 0259
Lorsqu’il écrit à Léon Marcq (1835-1874) dit Loupin – pour lui faire part du temps qu’il passe à travailler, Félicien évoque ces choses qu’il aimerait prendre le temps de faire :
« Voilà deux mois que je n’ai pu trouver un moment pour fumer en ronronnant dans mon atelier, regarder passer les corbeaux, me promener au soleil les mains dans les poches comme un aliéné tranquille, écrire à mon ami Loupin, manquer une bécasse – et l’Automne s’en va et les peupliers deviennent jaunes comme des cocus et les hêtres rougissent comme les jeunes filles »
Pour lire l’entièreté de la lettre : n° d’éd. 3385
En 1874, il fait part à Henri Liesse (1849-1921) de souvenirs de jeunesse :
« J’ai accroché dans la panoplie le bon Lefaucheux dont le damasquinage s’est usé sur mon épaule et qui abattait si vaillamment les bécasses en novembre sous les aulnaies de la Mare aux pies. »
Pour lire l’entièreté de la lettre : n° d’éd. 0029
Sa passion pour la bécasse apparaît encore dans une lettre à Eugène Rodrigues (1853-1928), alias Erastène Ramiro :
« Mon amour pour la bécasse nous retenait dans les bois de la frontière et me faisait oublier les grands paysages des environs de Mézières. »
Pour lire l’entièreté de la lettre : n° d’éd. 0428
Comme beaucoup de chasseurs, Félicien est envoûté par la Mordorée !
Musée Rops : Vous me semblez intarissable !
Oui, et je ne peux passer sous silence les informations inédites que le Musée me réservait.
J’apprends tout d’abord que le portrait du juge Polet, peint par l’artiste en 1856 et mis en vente par la famille en 1987, est aujourd’hui en dépôt au Musée ; j’ai eu le plaisir de l’admirer !
Une autre fois, je reçois un courriel de Thomas Cleerebaut, le responsable des collections du Musée : « J’ai une nouvelle à vous annoncer, qui je pense vous fera extrêmement plaisir. En poursuivant l’inventaire de nos collections, je suis tombé sur le manuscrit original de « La chasse au bécasse », écrit de la main de Théodore Polet, semble-t-il. » Jamais, même dans mes rêves les plus fous, je n’avais imaginé pareille découverte !
Énorme surprise enfin en trouvant un cahier manuscrit de la main de Charlotte, l’épouse de Félicien, relié à l’arrière d’un exemplaire du « Chasseur à la bécasse » conservé au Musée ; y sont soigneusement notés les articles de presse à propos de la sortie du livre de son père. Le tout premier en date provient de la célèbre revue L’Illustration du 16 août 1862 :
« Ce charmant petit livre, signé du pseudonyme de Sylvain, sous lequel se cache, à ce que prétend un indiscret, un écrivain qui porte avec autant d’honneur la robe de magistrat que la carnassière du sportman, est illustré de gravures dues à un dessinateur qui possède des qualités d’humour bien peu communes ».
Ce cahier contient aussi la copie d’une lettre, totalement inconnue jusqu’à présent, adressée à M. Sylvain par Léonce de Curel, un écrivain chasseur des plus belliqueux.
Mais ce qui m’a le plus ému, c’est ce courrier que Félicien adresse à Victor Hallaux le 17 avril 1866 :
« Mon Cher Victor, j’ai la douleur de t’annoncer la mort de Monsieur Polet qui nous a été enlevé presque subitement aujourd’hui à quatre heures du matin. Tu as connu mon beau-père, tu sais combien il était bon, affable, bienveillant, ce n’est pas un beau-père ordinaire que j’ai perdu c’est un ami et un frère. »
Pour lire l’entièreté de la lettre : n° d’éd. 1042
[1] Extrait d’une lettre repérée au format d’un timbre-poste en couverture d’un catalogue de vente. Collection privée inconnue.
À découvrir également sur notre inventaire en ligne : « Félicien Rops, chasseur de bécasses ».