L’exposition « Au travail ! Les ateliers d’artistes au 19e siècle en Belgique » au musée Rops (21.10.23-10.03.24) a remporté un vif intérêt de la part de la presse et du grand public. Cette thématique nous a donné l’occasion de dépouiller la correspondance de Rops par le prisme des nombreuses adresses qu’il mentionne comme ateliers ou lieux de résidence à Paris, Bruxelles et Namur, sa ville natale : bref, un véritable dédale de lieux, de quartiers, de projets de déménagement et emménagement, d’ateliers collectifs fréquentés ou rêvés qu’il a fallu trier et organiser chronologiquement[1].
Dans la précédente revue (n°45), nous avons pu détailler les premières années de la carrière de Félicien Rops, principalement à Namur, au château de Thozée et à Bruxelles. Nous nous étions arrêtés en 1878, alors que l’artiste s’était définitivement installé à Paris, avec ses deux maîtresses, Aurélie et Léontine Duluc, modistes. Dans cette deuxième partie, nous partons à la découverte des ateliers parisiens occupés à partir de 1879. À côté de l’effervescence de la ville, Rops souhaite retrouver la nature qui manque à son inspiration et à son équilibre physique et psychique. La maison de Corbeil-Essonnes, près de Paris et de la Seine, est à ce titre une bouffée d’oxygène et d’inspiration renouvelée. C’est d’ailleurs dans cette demeure rénovée avec ses deux compagnes que Rops poussera son dernier soupir.
Dans cette dernière partie de la « chronologie des ateliers de Rops », nous avons retranscrit quelques citations de journalistes qui ont fréquenté ces lieux de création et rencontré l’artiste durant ses dernières années de vie. Leurs témoignages sont importants et éclairent le point de vue de l’artiste sur sa propre condition.
Comme spécifié dans le n°45 de la revue du musée, ce premier travail de dépouillement mériterait d’être approfondi dans les années à venir, notamment en s’interrogeant sur les quartiers que l’artiste a fréquentés
et qui laissent entrevoir les réseaux professionnels qu’il a entretenus.
Les ateliers de Rops sont à la fois des lieux de passage, d’apprentissage collectif, d’échanges, de vie, de travail et d’expérimentation.
Véronique Carpiaux
Chronologie des ateliers de Rops Part. 2
1879
En janvier, Félicien Rops s’installe rue de Daubigny, dans un atelier qu’il reprend au peintre Ferenc Pazcka: «Dans deux mois le 15 janvier je vais habiter au Parc Monceaux, rue Daubigny, un charmant petit atelier avec appartement que je reprends au peintre hongrois Pazcka » (n°éd. 3118). En parallèle, il aménage en mars un atelier situé 13, rue Labie à Paris, près de la porte Maillot « Je me suis fait bâtir là dans une cour un bon petit atelier où je vais tâcher de faire quelques belles choses» (n°éd. 1465). «J'entre demain dans l'atelier de la rue Labie 13 13 ! 13 !! 13 !!! TREIZE !!!! Le déballage aquafortier aura lieu. Je ne pouvais faire tout cela rue Mosnier !! Me voilà réinstallé, & à l'ouvrage» n° éd. 1919). En avril, il mentionne également l’occupation d’un atelier à Bruxelles qu’il partage avec l’encadreur Jacob Ottevaere au 35, rue des Petites Carmes (n°éd. 3140).
1880-1884
En août, il s’installe 76, rue Richelieu à Paris avec ses deux amies couturières qui y font commerce: «prévenez moi de votre arrivée parce que je travaille à mon atelier 13 rue Labie & je ne suis que le soir & le matin à mon appartement de la rue Richelieu. » (n°éd. 1448)
1881-1884
Les problèmes financiers le poussent à déménager. Il déplace son atelier au 17, rue Drouot: «Mes meubles de la rue Labie sont saisis pour dettes, voici ma nouvelle adresse : 17 rue Drouot. J’ai pris quelques meubles en location en attendant. J’ai d’un autre côté Sembach qui était dans mes meubles, rue des Petits Carmes qui les a laissés saisir, d’où procès que je supporte & pour lequel j’ai dû fournir ‘provision’ ainsi que le dit mon avoué de Bruxelles, c’est à dire payer 250 frs d’avance sinon ma bibliothèque, mes estampes, tout était vendu.» (n°éd. 1131)
1884-1893
En octobre, le « trouple » s’installe au 19, rue de Grammont. L’atelier situé au 21 communique avec la maison. « Mais si vous saviez ce que c’est qu’un peintre dans un atelier à tous les vents & maudissant la déesse des Déménagements vous comprendriez mes colères & mes impatiences. Ne déménagez jamais. Moi je suis ici, jusqu’à la fin de mes jours ! » (n°éd. 0957). En mars, il acquiert la propriété de la Demi-Lune à Corbeil-Essonnes, en bords de Seine, aux portes de la forêt de Fontainebleau: «Je travaille ici à mort. Je suis forcé de rester deux ou trois jours chaque semaine à la Demi-Lune pour surveiller mes travailleurs, et je me repose à l’atelier, cet atelier qui ressemble à un nid d’hirondelle, – d’aronde, en wallon» (n°éd. 0603). C’est là que mourra l’artiste en 1898.
1889-1894
En mars, il s’installe 1, place Boïeldieu , « un bel atelier de peintre (car je veux faire à nouveau de la peinture), & un atelier de graveur, petit salon & belle maison. Ah il va falloir faire de bonnes choses là-dedans ! » (n°éd. 3400).
1891
En juin, il occupe aussi un atelier rue Saint- Marc, sous le pseudonyme de Mr Brunel et y reçoit le jeune peintre Henry de Groux : « [Rops] commença par me céder un de ses ateliers qui était libre à ce moment-là, près de la rue S. Marc, et nous nous vîmes presque tous les jours ». Rops le décrit comme : « un coin où il peut faire monter un amateur ou un marchand sans honte, & sans que le susdit amateur ou marchand ne lui offre, sentant la dèche, dix francs de ce qui en vaut cinq cents » (n°éd. 1555).
1893-1896
En novembre, il s’installe au 2-4, rue des Blancs Manteaux : « Je quitte dans tous les cas la place Boieldieu, en attendant ; & je passerai l’hiver prochain en la rue du Marché des Blancs-Manteaux, la maison du 16 du quai Voltaire ne pouvant être prête avant 6 mois. J’espère que ce sera mon dernier logis dans Paris, j’en ai eu dix ! ». Habiter au 16, quai Voltaire, « [...] la plus belle situation de Paris », pourrait se concrétiser grâce à « un bâtisseur [...] qui érige une maison à côté de celle d’Uzanne pour pouvoir y avoir au quatrième, un atelier avec appartement » (n°éd. 1794), mais ce projet ne se concrétisera pas. En avril 1996, Rops précise qu’il garde son atelier à cette adresse et qu’il y est présent tous les jeudis de 9h30 à 16h30 (n°éd. 1681). « Au premier, un appartement immense, très haut de plafond, relié à l’atelier nu, peint de bleu pâle, par une galerie vitrée, sorte de jardin d’hiver qui en un angle a une rocaille avec de l’eau, des plantes, comme ces décors de serres au Jardin d’Acclimatation. Auprès du poêle, sur un rocking chair, Rops, vieilli, se balance en rêvant [...] avec le regret cependant que les chevalets soient vides, les crayons délaissés, les pages blanches. L’atelier est propre, luisant, net, avec les établis à transparent, la presse à tirer, les cartonniers bondés, la vitrine aux plaquettes. » C’est en ces termes que le journaliste surnommé «Santillane» évoque, dans Le Gil Blas (Paris) du 25/08/1898, sa dernière rencontre avec Rops, rue des
Blancs Manteaux.
1898
« À son atelier de la place Favart, il préférait depuis deux ans, sa propriété de la Demi-Lune », écrit Maurice Demaison, dans un article nécrologique paru dans le Journal des débats (Paris) du 25/08/1898. Le 22 août, l’artiste décède à Corbeil-Essonnes, près de Paris, après avoir investi finances et énergie dans cette dernière maison- atelier où il cultivait des roses : « En outre, je fais une écurie recouverte d’un atelier de peinture, de sorte que la maison et le jardin sont à l’état de chantiers. J’espère que cet avatar sera ma dernière transformation. Je crois qu’il faut avoir dans la Vie, sur la Terre, une maison o[ù] l’on enferme ses espoirs derniers, si on a le bonheur d’en garder » (n°éd. 1312).