Ropslettres.be n’est pas le premier travail éditorial autour de la correspondance de Félicien Rops. Le projet d’une publication centralisée de ses lettres ne date pas d’hier. La qualité de la plume de l’artiste est indéniable : nombreux sont ses contemporains qui l’exprimaient déjà et Rops lui-même, qui prenait grand soin à rédiger certaines missives, jugeait sa correspondance digne de recevoir les honneurs de l’édition.
Dès les années 1870, l’artiste ambitionne de créer le Journal de Félicien Rops, Notes et croquis,[1] compilation d’« une suite de lettres adressées à mes amis à propos de tout ce qui me passe par la tête et tout ce qui me tombe dans l’œil. Et cela à la bonne franquette, notes et croquis sans prétention. Cela sera écrit et dessiné à l’eau forte. Douze lettres par an[2] . » Une autre fois, dans une lettre que lui adresse Octave Pirmez datant du 20 mars 1874, on apprend qu’il souhaite faire paraître dans un journal intitulé Feuilles volantes, les missives que les deux artistes s’étaient échangées[3] . Quelques années plus tard, il prévoit une « série de “Lettres Jeunes” dont [il] veu[t] un de ces matins accabler [s]es Contemporains[4] . » Un autre projet encore lui tient à cœur : celui de rassembler ses missives relevant de la critique d’art au sein d’un recueil intitulé : Mémoires pour nuire à l’histoire de mon temps[5] . Même si, pour diverses raisons, tous ces projets éditoriaux n’aboutiront pas, il n’empêche que certaines lettres seront quand même publiées un peu partout du vivant de Rops : celles de son voyage en Scandinavie publiées par L’Indépendance belge en 1874[6] , la « lettrepréface » aux Propos d’un peintre d’Henry Detouche[7] ou encore l’introduction au livre d’Auguste Delâtre, Eau-forte, pointe sèche et vernis mou[8] . À l’occasion, des revues influentes de l’époque, telles L’Art Moderne ou La Jeune Belgique, reprennent également dans leurs colonnes des lettres de l’artiste. Rops souhaite en outre insérer des extraits de correspondance dans les catalogues raisonnés que lui consacrent Érastène Ramiro et Edmond Deman[9] , mais aussi au sein de l’Étude patronymique d’Eugène Demolder[10].
À titre posthume, ce sont des amis, connaisseurs et/ou passionnés de l’œuvre de Rops qui réserveront à son talent d’épistolier une publication. De manière non exhaustive, nous pouvons citer : la revue littéraire La Vogue qui révèle en 1899 « Lettres de Rops à une femme » ; Hugues Rebell qui reproduit en 1901 dans Trois Artistes contemporains la correspondance avec Henri Liesse ; un numéro spécial de La Nervie, « Sous la plume de Félicien Rops » qui dévoile des lettres inédites ; le Mercure de France qui divulgue en 1935 un lot adressé à l’éditeur Poulet-Malassis, ou encore Les Cahiers Octave Mirbeau qui publie en 1998 la correspondance inédite avec Mirbeau et Alice Regnault.
Le projet éditorial de la Correspondance de Félicien Rops réalisé en 1942-1943 est d’une toute autre envergure. En effet, c’est la première fois qu’un ensemble de lettres ropsiennes d’une telle importance a été centralisé et réuni en volumes. Ce travail de bénédictin, entrepris 8 ans auparavant, a été réalisé à quatre mains par Gustave Lefèbvre, un collectionneur passionné, et Maurice Kunel, un biographe, journaliste et poète belge. C’est ce dernier qui a réuni la majeure partie des copies de lettres figurant dans la Correspondance et y a ajouté notes et commentaires, le tout tapé à la machine à écrire (tapuscrit). Pour parvenir à ses fins, « il a longuement rôdé à Namur, à Bruxelles, à Paris, à Essonnes, autour des lieux où se déroula la vie ardente du grand graveur, à l’affût de textes et de renseignement[11] », à la manière d’ « un détective[12] ». Il s’est également entouré d’une petite société d’une vingtaine de personnes appelée les « ropsistes » afin de rassembler au mieux les documents concernant la vie de l’artiste namurois. L’objectif pour ces éditeurs/ auteurs était d’« élever un monument digne de la plume de Félicien Rops, et sauver de la dispersion ce qui peut l’être avant qu’il ne soit trop tard, en attendant que l’édition de sa correspondance puisse se réaliser selon le désir de tous les intellectuels[13]. » Ce qui est aujourd’hui chose faite grâce à ropslettres.
Dans ce cadre de publication numérique, la Correspondance de Lefèbvre et Kunel fut l’un des premiers documents clés qui a débuté le travail éditorial. Cet ouvrage d’ensemble se compose de 7 volumes, morcelés en diverses parties comprenant illustrations, portraits, copies de lettres autographes, fac-similés. Cette publication papier « attendue vainement depuis si longtemps[14] » prend la forme d’un exemplaire unique conservé aux Archives de l’Art contemporain des musées royaux des Beaux-Arts de Belgique . Le musée Félicien Rops possède et rend accessible au public la copie de ces tapuscrits.
Le traitement de ces copies est passé par plusieurs phases dont une d’inventorisation. En effet, nous avons eu la chance de retrouver les versions originales de nombreuses missives, entreposées majoritairement à la Bibliothèque royale de Belgique. C’est grâce à cet autre partenariat que nous avons pu ainsi traiter les doublons, en privilégiant les manuscrits de Rops, sans oublier d’indiquer dans notre base de données quand les copies non autographes figuraient dans l’ouvrage de Kunel et Lefèbvre. Les missives qui n’ont pas encore retrouvé à ce jour leur version originale sont publiées avec le fac-similé du tapuscrit. Ce travail méticuleux d’inventorisation exigea l’aide d’étudiants et de stagiaires motivés par ce projet éditorial.
On terminera par les mots de Gustave Lefèbvre qui écrira en guise d’introduction à son « monument » éditorial : « Les voici, ces lettres dont la publication est si ardemment désirée par ceux qui ont eu le plaisir d’en lire quelques-unes, ces lettres précieusement et jalousement conservées par les collectionneurs de l’œuvre de Félicien Rops, et les collectionneurs autographes ; les voici, à la fois jeunes et ardentes, sérieuses et graves, ou pleines de gauloiseries et de gaieté, toutes palpitantes de vie, toutes vibrantes d’aspirations, avec leurs exaltations, leurs découragements aussi, leurs futilités parfois. Toutes n’étaient pas écrites, certes, pour être lues par d’autres yeux que ceux du destinataire ; elles en sont d’autant plus précieuses et curieuses . »
[1] Lettre de Félicien Rops à Maurice [Bonvoisin], Paris, 03/1879. Bruxelles, Archives et Musée de la Littérature, inv. ML/03270/0008. www.ropslettres.be – n° d’édition : 1438.
[2] Lettre de Félicien Rops à Edmond Picard, Paris, 02/04/1879. Bruxelles, Archives et Musée de la Littérature, inv. ML/00631/0018. www.ropslettres.be – n° d’édition : 2284.
[3] Lettre d’Octave Pirmez à Félicien Rops, château d’Acoz, 20/03/1874. Transcription publiée dans le Mercure de France, 01/07/1905, p. 17-18.
[4] Lettre de Félicien Rops à [Octave Uzanne ?], s.l., [1881- 1896]. Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Manuscrits, inv. II/215/5/1. www.ropslettres.be – n° d’édition : 0683.
[5] Lettre de Félicien Rops à [Armand] Rassenfosse, [Paris], 23/02/1892. Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Manuscrits, inv. II/6957/19/92. www.ropslettres.be – n° d’édition : 1763. Une reconstitution de ce projet a été entreprise par Hélène Védrine, voir : Félicien Rops, Mémoires pour nuire à l’histoire artistique de mon temps, Bruxelles, Labor (Coll. « Espace Nord »), 1998.
[6] Lettre de Félicien Rops, Stockholm, 07/08/1874. Publiée in : « Le Congrès préhistorique », L’Indépendance belge, Bruxelles, 13/08/1874.
[7] Henry Detouche, Propos d’un peintre, Paris, Librairie de l’art indépendant, 1895.
[8] Auguste Delâtre, Eau-forte, pointe-sèche et vernis mou, Paris, Lanier, Vallet, 1887.
[9] Lettre de Félicien Rops à [Edmond Deman], Paris, 10/03/1891. Namur, musée Félicien Rops, Coll. Province de Namur, inv. LEpr/121. www.ropslettres.be – n° d’édition : 0095.
[10] Lettre de Félicien Rops à [Eugène Demolder], s.l., [1895]. Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Manuscrits, inv. II/7037/5. www.ropslettres.be – n° d’édition : 1176.
[11] Maurice Kunel et Gustave Lefèbvre, Correspondance de Félicien Rops, exemplaire unique conservé aux Archives de l’Art contemporain aux musées royaux des BeauxArts de Belgique, Limal, 1942, vol. I, p. IV-V.
[12] Ibidem.
[13] Ibid., p. II.
[14] Ibid.