Au musée Félicien Rops, la rentrée culturelle 2014 est placée sous le signe de la correspondance de l’artiste avec le lancement du site dévolu à ses écrits : www.ropslettres.be. D’une grande qualité d’écriture, les missives de Rops ont fait l’objet de nombreuses publications jusqu’à aujourd’hui. Parmi celles-ci, impossible de ne pas mentionner les diverses parutions dont l’artiste luimême fut à l’origine.
Tout en gardant son identité de peintre, Rops s’est en effet immiscé dans le domaine littéraire par de multiples usages de sa correspondance. Ainsi, par exemple, retrouve-t-on des missives de l’artiste dans la presse contemporaine sous forme de « lettre-chronique ». Comme en 1874, lorsque L’Indépendance belge publie les lettres de son voyage en Scandinavie[1]. Mais Rops fait également paraître ses missives en guise de préface d’ouvrages. Citons ici la « lettre-préface » aux Propos d’un peintre d’Henry Detouche[2]ou encore l’introduction au livre d’Auguste Delâtre, Eau-forte, pointe sèche et vernis mou[3].
À l’occasion, les colonnes de revues influentes de l’époque, telles L’Art Moderne ou La Jeune Belgique, reprennent également des lettres de l’artiste. Rops souhaite en outre insérer des extraits de correspondance dans les catalogues raisonnés que lui consacrent Érastène Ramiro et Edmond Deman[4], mais aussi au sein de l’Étude Patronymique que lui voue Eugène Demolder[5]. Plus indirectement, le peintre encourage la circulation de ses lettres parmi ses amis écrivains afin d’influer sur leur jugement et de faire paraître ses opinions critiques sous la plume d’un tiers. Ainsi, dans cette missive à Théo Hannon : « Montre ma lettre si tu veux à Camille [Lemonnier], cela m’évitera de lui écrire des redites […] j’en ferai un jour un article sur tout cela ou tu le feras car toi & Camille vous penserez comme moi avant qu’il soit longtemps »[6].
Dans les années 1870, l’artiste ambitionne de créer un journal intitulé Feuilles volantes[7], puis le Journal de Félicien Rops, Notes et croquis[8], compilation d’« une suite de lettres adressées à mes amis à propos de tout ce qui me passe par la tête et tout ce qui me tombe dans l’œil. Et cela à la bonne franquette, notes et croquis sans prétention. Cela sera écrit et dessiné à l’eau forte. Douze lettres par an »[9]. Ce projet ne s’est pas concrétisé, tout comme celui de rassembler ses missives relevant de la critique d’art au sein d’un recueil intitulé « Mémoires pour nuire à l’histoire de mon temps »[10].
À propos d’une des lettres de Rops sur l’art, l’écrivain et poète français, Henry Céard, remarque : « Je trouve cet exposé absolument remarquable, et l’article est encore à faire où l’on décrit les choses avec ce vibrant et cet imprévu. Il y a dans ces pages un charme neuf qui m’a étonné et dont j’ai essayé de me rendre compte. D’où il vient ? il vient de ce que c’est de la littérature qui n’est pas faite par un littérateur et de la critique écrite par un autre qu’un critique. Cela a une franchise de phrase, un imprévu de conversation qui manque à tous les écrivains de profession »[11]. Conscient de la reconnaissance dont jouit sa plume auprès de ses contemporains, Rops fut sans doute encouragé à opérer le franchissement du privé au public et à construire des projets « littéraires » autour de ses lettres. Par l’écriture épistolaire et la parution de ses missives, l’artiste a cherché à contrôler la réception critique de son œuvre. C’est ce qu’illustrent, entre autres, ces quelques lignes adressées à son ami écrivain Léon Dommartin : « Tu me feras plaisir en déchirant cette lettre, fortement. Il y a là dedans des choses qu’il n’est pas nécessaire de laisser après soi. À nos âges, quoique tu aies deux ou trois ans de moins que moi, & que Fig.3 nous n’ayions pas trop à nous plaindre "des injures du temps" il est bon de songer que l’on doit s’apprêter à ne pas embêter les autres après soi. Ces idées gaies me sont suggérées par la lecture générale de mes lettres d’ami. J’en détruis des boîtes, et beaucoup des tiennes qui laissées après ma petite crevation pourraient embêter bien des gens & en admettant que tu me survives, toi-même, ou les tiens. J’ai mis de côté pour qu’on te les rende celles qui ont des côtés littéraires, & il en a beaucoup. – Mais je te défends de me survivre ! Fais la même chose pour les miennes, & garde celles qui ont quelqu’intérêt »[12].
[1] Lettre de Félicien Rops, Stockholm, 00/08/1874, in : L’Indépendance belge, Bruxelles, le 07/08/1974.
[2] DETOUCHE Henry, Propos d’un peintre, Paris, Librairie de l’art indépendant, 1895.
[3] DELÂTRE Auguste, Eau-forte, pointe-sèche et vernis mou, Paris, Lanier, Vallet, 1887.
[4] Lettre de Félicien Rops à Edmond Deman, Paris, 10/03/1891. Namur, musée Félicien Rops, Coll. Province de Namur, inv. Lepr/121.
[5] Lettre de Félicien Rops à un inconnu, s.l.n.d. Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Manuscrits, inv. II/7037/5.
[6] Lettre de Félicien Rops à Théo Hannon, [Paris], [1878]. Bruxelles, Archives et Musée de la Littérature, Coll. Cabinet des Manuscrits de la Bibliothèque royale de Belgique, inv. ML/00026/0188.
[7] Lettre de Félicien Rops à Léon Dommartin, Bruxelles, s.d. Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Manuscrits, inv. II/6655/468/38.
[8] Lettre de Félicien Rops à Maurice Bonvoisin, Paris, 00/03/1879. Bruxelles, Archives et Musée de la Littérature, Coll. Cabinet des Manuscrits de la Bibliothèque royale de Belgique, inv. ML/03270/0008.
[9] Lettre de Félicien Rops à Edmond Picard, Paris, 02/04/1879. Bruxelles, Archives et Musée de la Littérature, Coll. Cabinet des Manuscrits de la Bibliothèque royale de Belgique, inv. ML/00631/0018.
[10] Lettre de Félicien Rops à Armand Rassenfosse, [Paris], 23/02/1892. Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Manuscrits, inv. II/6957/92. Une tentative de reconstitution de ce projet a été entreprise par Hélène Védrine aux éditions Labor : ROPS Félicien, Mémoires pour nuire à l’histoire artistique de mon temps, Bruxelles, Labor (Coll. « Espace Nord »), 1998.
[11] Lettre d’Henry Céard à Théo Hannon, s.l.n.d. Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Manuscrits, inv. III/215/vol.12/15.
[12] Lettre de Félicien Rops à Léon Dommartin, Paris, s.d. Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Manuscrits, inv. II/6655/468/2.