Chroniques ropsiennes

Rops chercheur & « compagnon »

« Mathey le peintre faisait mon portrait grandeur nature: Un Rops simple, tirant une épreuve à sa presse, en bon « ouvrier » que j'ai toujours tenu à être avant tout, en Art. (...] En bon imprimeur, avec ma chemise bleue de tous les jours, & mes mains sales. » [1]

Paul Mathey, Portrait de Félicien Rops, vers 1875, huile sur toile. Coll. Château de Versailles et de Trianon

Les cimaises du musée Rops accueilleront, lors de la prochaine exposition temporaire, des œuvres gravées réalisées à l'aide de la technique de la manière noire. C'est l'occasion de nous pencher sur le Rops « alchimiste » et sur l'évocation qu'il fait, à travers sa correspondance, des techniques de gravure mais également sur son rôle de pédagogue dans la formation de toute une génération de graveurs.

De la lithographie à l'eau-forte, en passant par le vernis mou, Rops a usé, tout au long de sa carrière, de nombreuses techni-ques. À la recherche d'un art « moderne et original», l'artiste a également fait preuve d'un goût profond pour les expérimentations techniques.
L'abondante correspondance qu'il échange avec Armand Rassen-fosse (1862-1934) est à cet égard très instructive : « tout est à faire pour trouver l'ensemble de procédés nouveaux qui associé à la gravure doit donner la gravure moderne des peintres. Nous avons déjà donné un bon coup de botte à la Routine : continuons courageusement ! »[2]

Rassenfosse dont on a d'ailleurs beaucoup entendu parler ces derniers mois puisque la Fondation Roi Baudouin, légataire du patrimoine de l'artiste, vient d'instituer un « Fonds Armand Rassenfosse » dont l'objectif est la promotion et la mémoire de son œuvre et qui débouchera peut-être sur la création d'un musée dans l'ancienne maison-atelier de ce dernier...

C'est en 1886, à l'occasion d'un voyage à Paris, que le jeune liégeois rencontre Rops. Téméraire, il n'hésite pas à se rendre chez l'illustre graveur après avoir obtenu son adresse auprès d'un marchand. Leur curiosité partagée pour les techniques de la gravure et leur attrait pour la recherche donneront naissance à une profonde amitié et de longs échanges de courriers qui perdureront jusqu'au décès de Rops.

Les recherches des deux hommes se focaliseront surtout sur la technique du vernis mou. Rops ayant en effet à cour depuis de nombreuses années de mettre au point un vernis mou « transparent, doux et durable » qui pourrait permettre de rendre la spontanéité de la création artistique : « Comme tous les artistes qui se sentent plus dessinateurs ou peintres que graveurs, dans le sens absolu du mot, je me suis occupé des moyens qui pouvaient rendre l'aspect d'un crayon, ou d'un lavis. Je suis donc allé tout naturellement, à la manière noire à l'aqua-tinte [sic.], et à ce merveilleux procédé du "vernis mou", lequel en France n'a jamais eu de vogue et n'a jamais plu au public, ce qui était déjà une raison de l'aimer par dessus les autres »[3].

Après de multiples essais des deux compères, le vernis tant recherché sera mis au point et prendra le nom de « Ropsenfosse ».
Il sera pour Rops l'occasion de jeux avec un large éventail de techniques dont la manière noire : « je rêve d'associer notre vernis mou à la manière noire vraie. Cela irait très bien! [...] Ma première planche sérieuse a été une manière noire : le frontispice des Cafés & Cabarets de Paris de Delvau. en 1862!! que de braves esprits envolés depuis lors, que de jolies filles dis-parues! que de belles lèvres flétries! Toute une génération, & une régénération aussi! » [4]

Histoire anecdotique des cafés et cabarets

Conférant une forme de rareté à ses œuvres, Rops aimait de fait particulièrement combiner les techniques entre elles. Certaines de ses gravures sont ainsi de véritables curiosités. A propos d'un autre de ses frontispices - celui de Morgate pour Rodolphe Daerzens - l'artiste namurois rapporte à Rassenfosse : « Vous retrouverez là la plume, l'estompe, la pointe sèche, la manière noire, et l'aqua-tinte [sic.] aussi & du vernis mou avec tous les crayons; et de la pointe " humide" par dessus le marché.Et tous les acides itou : une olla-podrida comme celles que me faisait avaler à Séville, où je prenais ma pension, la vieille hôtesse de la Casa de huèspedes! » [5]

Rops, on le sait, a joué un rôle déterminant dans la formation de nombreux graveurs. Cependant, ce n'est pas en sa qualité de pédagogue qu'il aimait à se définir vis-à-vis d'eux mais bien en tant que « compagnon ». Lorsqu'il émet des remarques à propos des réalisations de Rassenfosse, il prend soin de préciser : « Ce ne sont pas des préceptes que je vous adresse, ce sont des impressions personnelles, & n'y voyez autre chose, je vous prie. Je hais les doctrinaires vous le savez ! Et les précepteurs donc ! presque autant que les percepteurs ! [...] Je ne suis pas un "mai-tre" mais un élève, "un compagnon" comme vous tous, & des plus ardents à la recherche de tout ! »[6]. Cette image de lui-même se retrouve à plusieurs reprises dans sa correspondance. Une lettre adressée en 1885 à Edgar Baes (1837-1909), critique d'art et artiste, nous permet toutefois de mesurer l'ascendance que ce « compagnon » se reconnaissait sur le milieu artistique belge :
« A ma voix comme à celle d'un vieux sergent-major beaucoup de mes compagnons de lutte se joindraient à votre groupe. - J'irais à Bruxelles, je donnerais aux « jeunes », dans un local quel-conque, quelques conférences pratiques sur l'eau-forte, sur le vernis-mou, l'aqua-tinte [sic.], la manière noire, la pointe sèche. J'ai assez d'influence dans le groupe de la Jeune Belgique & de l'Art Moderne pour qu'il vous soutienne [sic.] au lieu de vous attaquer. Tout cela rapproché, condensé, pourrait faire ma force. »[7]

[1] Lettre à Léon Dommartin. s.l., le 13 février 1888. - Bruxelles, Bibliothèque Royale de Belgique, BRII 6655 VIII 468 (2) 4.

[2] Lettre à Armand Rassenfosse. Paris, le 9 avril 1891. - Bruxelles, Bibliothèque Royale de Belgique, BRII 6957 (19) 1891 9.

[3] Lettre à Auguste Delâtre. s.l., le 15 novembre 1886. - in: KUNEL, Maurice, LEFEBVRE, Gustave, Correspondance de Félicien Rops, Limal, 1942, vol.7, p. 37-43. (Exemplaire unique conservé aux Archives de l'Art Contemporain aux MRBAB)

[4] Lettre à Armand Rassenfosse. Corbeil-Essones, le 2 juillet 1893. - Bruxelles, Bibliothèque Royale de Belgique, BRII 6957 (19) 1893 13.

[5] Lettre à Armand Rassenfosse. Paris, le 9 avril 1891. - Bruxelles, Bibliothèque Royale de Belgique, BRII 6957 (19) 1891 1.

[6] Lettre à Armand Rassenfosse. Paris, le 3 octobre 1889. - Bruxelles, Bibliothèque Royale de Belgique, BRII 6957 (19) 1889 14.

[7] Lettre à Edgar Baes. s.l., le 12 janvier 1885. - Paris, Fondation Custodia.

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