Chroniques ropsiennes

Rops dans les cuisines de l’histoire

La correspondance de Rops regorge d’anecdotes : en entrée, nous prendrons celle-ci, écrite à son ami Léon Marcq : « Nous ne pouvons aller aux Isnes Dimanche prochain, - il y a une demi-douzaine de cousines qui veulent se faire chaperonner par ma femme pour assister à « l’inauguration du Kiosque de la Plante » - « cette petite fête de famille sera charmante » - en voilà une récréation d’inaugurer un Kiosque ! » C’est gentiment insolent : quand cela se passait-il ? Hélas, comme il en est coutumier, Rops a négligé de dater cette lettre. C’est alors l’examen de données objectives qui peut aider à le faire. Forcément, c’est après son mariage en 1857, et du vivant de son beau-père, mentionné ailleurs dans la lettre et décédé en 1866. Pour en savoir plus, il faut scruter longuement la presse de l’époque. Dans ce cas, la réponse s’y trouve, précise : c’est le dimanche 14 juillet 1861 qu’eut lieu l’inauguration du kiosque au Parc de La Plante.

En plat principal, un souvenir de rhétorique à l’athénée de Namur : « Bergeron avait trouvé un excellent moyen pour ne pas être dérangé dans la traduction de son « Lysiae oratio Funebris » : au commencement de la classe il sortait le nez de son grand col blanc comme un bouquet de son cornet puis : Rops et Karski à la porte !! et il rentrait dansson cornet le lâche ! Karski avait toujours l’air très étonné, - Bergeron rentrait de plus en plus dans sa cravate ; nous sortions et nous allions bien loin, bien loin, pour nous pénétrer des grands maîtres du siècle de Louis XIV ! » (lettre non datée [1865] à Hyacinthe Kirsch). Un brin caustique, et peut-être moins digeste qu’il n’y paraît. Forts de cette confidence qui porte le sceau et la fraîcheur de l’authenticité, les biographes évoqueront Karski, condisciple de Rops à Namur. Et pourtant… Si Pierre Bergeron était effectivement le professeur de rhétorique de Rops en 1850-1851, l’anecdote est cependant invraisemblable. En effet, Karski a terminé brillamment sa rhétorique en août 1848, alors que Rops était encore élève de troisième au collège des jésuites. Ils ne se sont donc jamais croisés sur les bancs de l’athénée ! Pour écrire l’histoire, et non la légende, vérifier tout ce qui peut l’être, même quand cela « sonne » tellement vrai.

Pourquoi pas un petit entremets déniché dans la réserve des « vérités » qu’on ne questionne plus ? Il semble avéré dans la littérature ropsienne que Félicien et Charlotte se sont mariés le 28 juin 1857. Maurice Kunel l’a écrit il y a déjà longtemps. Cette idée est si bien reçue qu’elle est reprise jusqu’aujourd’hui dans lenouveauGuideduMuséeFélicienRopsetsurlesiteduMusée. C’est encore la même date dans la préface de la brochure Félicien Rops, Généalogie, publiée en 2006. Mais quelques pages plus loin, l’acte de mariage y est daté du 16 février 1857, références à l’appui. Et c’est exact. Le fait est banal : l’autorité de la chose écrite et transmise depuis si longtemps est telle qu’on l’admet de facto. Il faut pourtant songer à remonter aux sources chaque fois que c’est possible. Mais on ne peut pas faire l’impasse sur les travaux existants, bien au contraire. Il faut les recenser et les consulter avec gourmandise, en extraire tout ce qui peut faire farine à notre moulin. Ne pas tout avaler tout cru, bien sûr. Comme le critique gastronomique, apprécier soigneusement les ingrédients et le tour de main.

Alors, pour le dessert, dégustation de deux articles sur De Coster[1] pour dater et comprendre le contexte d’une lettre où Rops se fait sévère envers son ami en séjour à Paris. On apprend que le 7 mai 1865, le docteur Louis Watteau, fidèle de Blanqui, annonce à ses amis parisiens l’arrivée de Charles De Coster. « On le reconnaîtra à la cravate s’étalant largement sur le devant de la poitrine. Cette pharamineuse cravate représente en carreaux les couleurs nationales de la Belgique, jaune, noir et blanc (sic). Pourquoi ce garçon arbore-t-il cet étendard ? C’est sans doute le secret de son cœur. Pour le reste 5 pieds ½, belle figure ronde, intelligente, ouverte, yeux bleus, petite moustache châtaine, une tendance à prendre du ventre ». L’arrivée de Charles n’aura pourtant lieu que le 11 mai. Mais, demande Watteau, il faudrait expédier à sa mère un télégramme au nom de Charles ainsi libellé : « Maman, je suis bienarrivéetdemeureHôtelFleurus ».Pourquoitantdemystère ? Parce que Charles compte s’arrêter à Tournai pour y régler un duel au passage, ce que sa mère et sa soeur pressentaient et avaient formellement interdit à ce chenapan. Lequel finira par arriver intact le onze mai. Aussitôt, il va collaborer au tout nouveau journal des blanquistes, Candide, notamment en y livrant en primeur des extraits de la Légende d’Ulenspiegel les 20, 24 et 27 mai. Rops va lui remonter les bretelles à ce sujet, prédisant la fin rapide du journal, qui va effectivement être interdit ; il ajoute : « Mais ne publie plus rien du livre ! Cela seul pourrait faire rater la chose chez les éditeurs. » Si la lettre est dès lors sûrement datée, la clairvoyance amicale de Rops, le tempérament compliqué de De Coster et les rebondissements tragi-comiques de la rédaction de la Légende ont en outre gagné en consistance.

[1]J. BARTIER, Watteau, De Coster et quelques autres, article repris dans ID., Libéralisme et socialisme au XIXe siècle, Etudes rassemblées et publiées par Guy Cambier, Bruxelles, 1981 (Université libre de Bruxelles, Faculté de Philosophie et Lettres, LXXVIII, Faculté des Sciences sociales, politiques et économiques), p. 397-398 ; J. HANSE, Charles De Coster et Félicien Rops, article repris dans ID., Naissance d’une littérature, Bruxelles, 1992 (Archives du futur), p. 110-111.

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