Chroniques ropsiennes

Rops sous la plume de Scaron

Appuyé du dos, l’œil sur un livre ouvert au bord du pupitre, le rhétoricien interpellé se tenait les jambes étendues, les mains dans les poches du pantalon. Jamais il ne manquait de souligner d’une brève réflexion les propos de M. Babase, « son huître perlière ». C’était un grand garçon, de taille mince, élancée, de tournure élégante. Il avait les traits réguliers, des cheveux châtains relevés de chaque côté le long de la raie partant du milieu du front. La moustache s’effilait en pointes menues. Ses parents, de riches fabricants de meubles, établis rue Neuve, à Bruxelles, le voulant arracher à des habitudes de dépenses excessives, lui faisaient terminer à Namur ses études humanitaires. Marcel l’examinait à la dérobée. Des propos de ses condisciples lui traversaient l’esprit : - « C’est un noceur…. Il court après les femmes… Il fume des cigares à vingt-cinq centimes… Il reste souvent la nuit dehors. » (MR, p. 68)

Ainsi Ernest Scaron, alias Paul Reider, décrit-il son héros dans Marcel Rauny, un long roman publié à la fin de sa vie, en 1913. C’est Rops qui est dépeint, à peine travesti. A l’Athénée de Namur, le jeune Scaron dut être subjugué par son aîné, tourmenteur de Bergeron, le professeur de rhétorique. La correspondance de Rops lève le voile sur l’amitié qui les liera longtemps.

Déjà en 1862, Scaron avait décrit de la même façon le jeune homme dont l’héroïne de Mademoiselle Vallantin s’éprend follement : Elle le voyait ainsi de profil avec sa fine moustache, en pointe aux coins des lèvres, son cou dont la blancheur était éblouissante, et ses cheveux noirs, coupés courts derrière, relevés aux tempes. (MV, p. 114)

Le parallèle avec « le beau Fély », se poursuit : De sa propre volonté, [il] avait fait le sacrifice de ses dissipations habituelles et renoncé aux diplômes de l’Université libre, ne voulant pas être distrait de son amour, en glouton sûr de son appétit. – « Il était riche. Donc, devenir avocat ou médecin, briller dans une carrière quelconque, à quoi bon ? Serait-ce pour le plaisir de se créer des tablatures !… Son genre de vie lui plaisait : il se trouvait heureux, complètement heureux. Et cela devait durer toujours ! » (MV ? p. 206)

Vers 1860, Rops, sans diplôme, tôt marié, entend déjà les sirènes parisiennes… et, avec une détermination lente qui viendra à bout de la vie confortable où il coulait des jours légers et prévisibles, il laissera parler l’artiste, le rebelle, l’audacieux, le scandaleux qu’il abritait en lui. Scaron a suivi ces mouvements de fond, depuis l’école, l’aventure de l’Uylenspiegel, et les parties de chasse dans la campagne de Thozée. Il a perçu les frémissements annonciateurs de la tempête : Pourtant, à la fin, le désœuvrement lui apporta la lassitude de ses bonheurs paisibles. Il se mit à désirer un orage dans ce ciel éternellement bleu. Le bavardage d’une ancien camarade, rencontré par hasard, ralluma brusquement chez lui les ardeurs étouffées de sa vie de jeunesse. (MV, p. 208)

Depuis longtemps, il est bien oublié, Paul Reider. Mademoiselle Vallantin, dédié « à mes très chers amis Félicien Rops et Emile Leclercq », avait pourtant reçu les éloges des critiques parisiens qui voyaient en lui un romancier réaliste prometteur. Mais il posera sa plume, malgré les remontrances de Rops, pour se remettre à l’ouvrage bien plus tard, quand tous les compagnons de jeunesse auront disparu, seul dépositaire des souvenirs des années gaies.

Mademoiselle Vallantin a été réédité en 1959 par l’Académie de Langue et de Littérature Françaises de Belgique, précédé d’une longue introduction de Gustave Vanwelkenhuyzen.

« Alexandre-Ernest Scaron est né à Bruxelles le 17 décembre 1835. Son père était plafonneur et habitait Marché aux Poulets, au cœur de la vieille ville. Second de quatre enfants – quatre fils, Ernest a dix ans lorsque sa mère devenue veuve va s’établir comme négociante à Namur. C’est à l’Athénée de cette ville que l’orphelin fera ses humanités gréco-latines. » (p. 13)

Il termine brillamment sa rhétorique en 1855 et intègre aussitôt l’Université de Bruxelles, où il retrouve Félicien. Bientôt, il sera promu aux commandes d’Uylenspiegel.

Sa vie éclectique est ainsi résumée par Vanwelkenhuyzen : « Journaliste et critique romancier, fonctionnaire, professeur, il tâtera de toutes ces activité et ne fera carrière dans aucune. Entomologiste, botaniste, philatéliste à sa manière, pêcheur, chasseur, et, par surcroît, grand lecteur, il n’aura jamais assez de loisirs pour parfaire ses collections, satisfaire ses curiosités, épuiser ses plaisirs. Intelligent et actif, prodigue et insouciant, il connaîtra au cours d’une vie longue, tantôt l’aisance et tantôt la gêne. »

Engagé à vingt-quatre ans en qualité de commis adjoint à l’administration centrale des chemins de fer, à Bruxelles, il revient bientôt à Namur en tant que commis de troisième classe à la perception des postes. En 1863, il devient secrétaire du Parquet de Namur, et en 1864, il obtient un diplôme de gradué en lettres. Il retourne se fixer en 1876 à Schaerbeek, où il exercera jusqu’en 1891 les fonctions de directeur de l’enseignement. Il sera enfin professeur particulier de langue française.

De son premier mariage, il a eu trois enfants. Divorcé, il se remarie à quarante-neuf ans et de cette union naissent deux autres enfants.

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