Numéro d'édition: 2783
Lettre de Félicien Rops à [Léon Dommartin]
Texte copié

Expéditeur
Félicien Rops
1833/07/07 - 1898/08/23
Destinataire
Léon Dommartin
Lieu de rédaction
New York
Date
1887/10/09
Commentaire de datation
Datation sur base de l'apostille.Type de document
Lettre
N° d'inventaire
II/6655/468/204
Collationnage
Autographe
Date de fin
1887/10/09
Lieu de conservation
Belgique, Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Manuscrits
Illustration
Lettre illustrée
Apostille
1887
Page 1 Recto : 1
New-York.
poste restante. États-Unis
9 octobre 1887
Mon Cher Vieux
Je t’écris par 28 degrés de chaleur à l’ombre. Et pas d’air ! on étouffe ! on crève ! et je n’ai le temps que de te galoper au plus vite une impression première d’ici : je pars pour Buffalo sur les lacs, dans une heure. Et ici, – ah ! Mon pauvre ami que tu souffrirais ; – quand on tarde d’une minute à un rendez vous, plus personne ! Le New-Yorkais a un chronomêtre, le regarde, l’heure fixée arrivée, il attend six secondes, puis file. Je passe ici pour un être inexact !!!
Comme toujours tout ce qu’on m’a dit de New-York n’était qu’un tas de stupidités ! Mon Vieux il faut tout voir par ses yeux, & nous les avons bons tous les deux ! & tous deux ! New-York est la ville la plus étonnante qui soit au monde je crois, en tant que ville moderne une modernité de vingtième siècle ! C’est exorbitant
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Invu, & imprévu en diable ! – Je ne te parlerai pas de cette rade qui est une des merveilles du Monde ! Je suis arrivé par un temps de soleil laiteux comme celui que nous avons eu ensemble à l’île Thomé. Une ville formidable avec ses ponts, ses chemins de fer en l’air, ses milliers de navires, issant d’un rêve ; & cela vu du pont de la Bretagne, saluée par le canon du fort Washington – (parce que la Bretagne porte le pavillon des navires de l’État), – passant vis à vis des centaines de Warfs où dorment les grands staemers, cela est inoubliable. Mais c’est de la ville elle-même, que je veux te toucher un mot : on se l’imagine embêtante, avec ses avenues numerotées ces 240e « streets », & ses maisons énormes, noires, & régulières, – un Londres plus neuf & plus régulier : Pas du tout ! on ne s’aperceoit pas de la « régularité » du tout !: Les rues sont plantées à la diable, dans des petits jardins des maisons, les gens plantent ce qui leur plait d’où des arbres à travers tout, des saules pleureurs surtout, qui donnent un aspect doux & charmant à toutes les rues nouvelles qui ne sont pas les grandes artères, – dans les squares, à cause de la longueur & de la chaleur extrême des étés (– en juin & juillet 40 degrés à l’ombre !), les plantes d’Égypte, les splendides lotus à fleurs roses, les nymphéacées de la Floride, s’épanouissent dans les bassins. Quant à l’architecture loin d’être « les stupidités » que l’on s’imagine aussi, d’avance, – sur les récits des « gens de goût » elle est, sinon digne d’admiration : intéressante au plus haut point ! Naturellement tous les styles se mêlent souvent en de féroces accouplements, mais l’architecte New-Yorkais s’occupe d’abord « de l’intérieur » & ces intérieurs oùdans chaque maison se trouvent, 1° une force motrice, l’electricité, l’éclairage, les eaux, les décharges, pas d’escaliers souvent, mais trois « élevators » à vapeur, – un pour les dames & les gentlemans, un pour le service, un pour les meubles & les fardeaux, sont admirables. Partout de la lumière des fenêtres, de la chaleur ou de l’ombre à volonté. Ajoute que
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dans presque toutes les maisons sont à 6 & huit étages, plusieurs à dix & tu jugeras de la difficulté à amalgamer tout cela. Ils ont commencé avec la brique & la terre cuite, & ils ont maintenant, grâce aux chemins de fer des grès de toutes couleurs, – superbes. L’extérieur ainsi qu’il convient, se modelant sur l’intérieur il en résulte forcément des choses trouvées, nouvelles, & étranges qui se mêlant aux vieilles formules architecturales vous ahurissent un peu, mais ne sont pas souvent sans charme ! Le vieux New-York c’est la Cité de Londres avec plus de ponts, plus de chemins de fer en l’air plus d’activité encore ! De temps à autre un cimetière avec de grands arbres, un cimetière dix-huitième siècle, où dorment les premiers bandits qui sont débarqués à « l’Île de Manhattan » maintenant la première ville du nouveau monde ! L’église tranquille avec ses chênes d’amérique envahie, dominée par les fabriques est d’un aspect délicieux & résigné, exquis !
À bientôt mon vieux, j’ai bien des choses à te dire mais le service de la Compagnie Cunhardt part à midi ; dans une dizaine de jours, tu auras cette lettre, Je serai labas au lac Huron, où il fera déja froid, écris moi ici à New York poste restante un mot. Cela me suivra – où ? – Je ne sais,
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Je veux avoir de tes nouvelles, vite.
– Flor n’a rien mis au Figaro ! Prie le de le faire, ce n’est pas pour moi, c’est pour « mon éditeur » afin qu’il augmente « la bonne galette » ! Si tu veux faire aussi une petite note dans la Chronique sur la Strange America cela me fera plaisir.
J’ai parlé fortement de toi, & j’ai promis à Carter (l’éditeur) de lui envoyer aussitot mon retour le Guide en Ardenne. Pas de Guides ici !!! C’est l’enfance de l’art ! Pas de Cartes !!!!! autres que celles que publient les livrets de chemins de fer, – excellentes d’ailleurs.
Dis à Hallaux que j’ai fait route avec Prosper Lamal, & demande lui ce que c’est que Prosper Lamal ?? en lui faisant mes vieilles amitiés.
Le livre étant pour l’été prochain il ne serait pas impossible que je te presse sous le bras en juillet 1888 !! Ce serait une joie pour moi. Je n’aime pas juger seul & peu de gens ont des yeux. Ah mon ami qu’il y en a peu !!!! c’est incroyable !! « Tout le monde » m’a dit que les environs de New York étaient simples & plats. Ce que j’en ai vu est rocheux, accidenté & rappelle « Cernay la ville » ! Un Cernay la ville aqueux ! Quant à cet automne c’est un idéal d’automne à part la trop grande chaleur :
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La végétation est différente, les Chênes verts de l’Ohio, les peupliers Ontariens les érables à sucre énormes, les platanes dorés, sont dorés, bronzés brulés, émerillonnés, vermillonnés à n’y pas croire & les dessous de forets sont éclairés par une floraison automnale admirable. La Vernonie de New-York (Vernonia Novoeboracensis), (je l’ai vue enfin !!!) dix ou douze asters, les solidages du Canada &c &c sont en fleur. – Et dire qu’en France nous n’avons pas même une petite plante d’automne ! J’oubliais la vigne Catawba qui est en fruits & le rosier sétigère en fruits aussi, qui jettent aux branches des lianes de vingt pied de haut. Tu juges de mon enthousiasme d’artiste & d’horticulteur.
À bientôt donc vieux en Décembre – fin du mois – ou vers le 15 je serai à Bruxelles, si le diable ne veut pas de moi, car en Décembre c’est l’Atlantique en colère perpétuelle.
Je t’embrasse toi & les tiens
Fély
N’oublie pas le Flor.
Je ne relis pas – Trop pressé !!! Je file.
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Tout cela a 3 millions ½ d’habitants !
New-York est une ile en longueur de trois lieues sur quatre kilometre de largeur qui va du Sud au Nord.
Croquis
New Jersey grande ville / Hoboken ville / Chemin de fer. souterrain en construction / Port / Hudson-River. / vieux New York / NEW-YORK nouveau. / Nord / Port / Pont de Brooklyn / Port / Brooklyn 350,000 habit. / Port / Long. Island. / Ports Est River
Détails
Support
2 feuillets, 8 pages, Ligné, Crème.
Mise en page
Écrite en Plume Noir.
Copyright
KBR