Page 1 Recto : 1
Enfin Mon Cher Monsieur Schück, me voilà sur pied, & je peux vous écrire. Je vais faire tirer quelques planches qui vous manquent, & je ferai d’ici a huit l’envoi qui devrait être fait depuis longtemps. Sur une des épreuves que je vous destine il y a un petit croquis que je vous prierai d’accepter comme dédommagement de la longue attente que vous avez dû subir, et je tâcherai que vous ne la regrettiez pas trop. Que voulez vous : il y a eu force majeure. Depuis le 15 Décembre je suis malade, j’ai eu une espèce de fièvre cérébrale qui a failli dégénerer en congestion, ou plutôt qui avait débuté par une espèce de congestion. J’ai été aux fameux « deux doigts de la mort » dont on parle toujours ! Et tout cela est le résultat de préoccupations d’art violentes. Cette misérable année 1890 a été pour moi pleine de douleurs morales. Depuis la mort de mon pauvre Pradelle qui me consolait dans mes horribles découragements, & dont la bonne parole me calmait, je n’ai rien fait de bon. Je le sentais, et mes
Page 1 Verso : 3
jours se passaient à déchirer ce que je créais : rayant les cuivres, anéantissant les dessins, flanquant les modèles, qui n’en pouvaient , dans les escaliers, exaspéré par les éloges, constatant mon indéniable impuissance à faire bien, et étant arrivé dans les derniers mois de cette maudite année, à une telle irritabilité de nerfs, que j’en faisais souffrir tous ceux qui veulent bien m’aimer.
J’ai à vous remercier particulièrement de la longanimité aimable dont vous m’avez donné la preuve, en ces jours pénibles, et qui m’a été fort agréable.
À Bientôt donc Mon Cher Monsieur & acceptez mes affectueuses Civilités.
Félicien Rops