Lettre de Félicien Rops à [Léon Evely]

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La planche des « Dévotions de Mr Roch», est bien mordue, – à ce que je crois ; car il ne m’est guère possible de juger la planche sur une semblable épreuve. Vers la fin de la semaine vous recevrez sans faute cette fois les croquis promis & attendus. C’est réellement de ma part une négligence pure, – j’ai, comme bien vous le pensez, plus de trois à quatre cents études d’après nature, & croquis pris de coté & d’autre, en voyage, à Paris, à l’atelier, dans les champs, dans les bois, dans les salons, dans les rues. Mais à ces croquis ou à ces études, dont beaucoup ont servis à mes frontispices & à mes eaux fortes, il y a presque toujours, – je dirai même, toujours, quelque chose à retoucher, & c’est ce quelque chose, ce rien qui m’arrête, lorsque je suis pressé, & je suis toujours pressé !!! et très pressé !

– Les plus intéressants de ces croquis, sont les croquis-études qui ont servi, ou qui doivent servir aux frontispices & aux eaux fortes. Je les ai mis, à part, & cela formera une collection réellement fort intéressante. En vous envoyant les croquis j’y joindrai, en surplus, une belle épreuve du frontispice des : Œuvres Inutiles ou Nuisibles » qui pourra servir de frontispice à votre Album. Je tâcherai

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de vous avoir le croquis-dessin de ce frontispice qui est un dessin, – cela compterait pour quatre croquis, vu son importance, d’après nos conventions de l’an dernier.

– Il est dans les mains d’un amateur de Marseille, mais je lui proposerai un échange d’eaux fortes rares, & je suis certain qu’il acceptera. – Vous devez faire deux albums, un pour les croquis lestes avec un petit fermoir à clef dans lequel vous mettriez les épreuves d’eaux fortes légères, & les croquis que l’on ne peut regarder qu’avec des lunettes bleues, (& il en aura beaucoup ;) & un autre album pour les croquis que l’on peut montrer aux dames. – Le premier s’ouvrirait par le croquis-dessin des œuvres Inutiles ou Nuisibles, avec la femme nue, – tel qu’il est dans le croquis de Marseille, & le second Album avec ce même dessin, (que je vous ferais), avec la même femme, (c’est une Folie,) vêtue de sa robe de ville.) C’est ce que j’ai fait dans l’eau-forte. Dans les premières épreuves, fort rares d’ailleurs !! – la Folie du frontispice est nue, dans le second état, le définitif, elle est habillée.

– Comme second frontispice de l’Album léger, je vous donnerai le croquis-dessin du frontispice général de « l’œuvre légère » que j’ai encore, & qui représente une dame inscrivant sur une pancarte cette phrase, (de Saint-Augustin s’il vous plait !) : Naturali Diaboli vertus est in lombis, – La force du Diable est dans les reins ! – Il y en a encore un deuxième : c’est une dame & un Monsieur qui s’embrassent fortement, en dessous l’épigraphe : Les choses de nature ne sont pas sales :

Naturalia non sunt turpia

. – J’en ai le croquis. Quelques uns de ces croquis sont sur les marges d’eaux fortes, sur les marges

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des épreuves, – vous ne vous en plaindrez pas je suppose ! – cela vient de ceci : Salmon avait d’excellent papier pour tirer des épreuves, comme nous n’étions pas très amis, il ne voulait pas m’en céder, & pour en avoir je faisais tirer quelques épreuves dans sa maison. J’aimais beaucoup dessiner sur ce papier, & j’ai encore quelques épreuves à croquis, que mes collectionneurs recherchent avec un empressement, très flatteur pour moi.

– J’ai aussi des séries de croquis fort curieux sur les transformations primordiales des êtres, au point de vue des premières accointances de ces embryons. C’est fort étrange vraiment.

Enfin vous verrez tout cela, – je veux faire une rareté de votre collection.

– Je vous demanderai du reste, presque toujours, de me graver <plusieurs> [illisible: barré] des croquis envoyés. – J’ai aussi  <à ce sujet> une autre proposition à vous faire, en dehors de notre première convention, acceptée depuis longtemps :

Je publie maintenant : Les Œuvres Inutiles & Nuisibles ». C’est une suite d’eaux fortes qui resteront de la plus grande rareté, les planches se vendent séparément & les plus petites sont cotées vingtfrancs, les prix varient de vingt à cinquante francs. Elles ne sont pas, à proprement parler dans le commerce. Nous pourrions nous arranger (pour la reproduction des petits croquis seulement,) en vous donnant deux trois ou quatre épreuves pour vos reproductions de croquis, suivant l’importance des épreuves & l’importance des croquis. – Il faut bien nous comprendre : je ne parle que des croquis que je vous enverrai, – comme payement, en échange de vos reproductions, croquis que vous garderiez pour votre collection, & dont

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vous m’enverriez la reproduction. Vous y gagneriez ceci : 1° Votre collection de croquis double de valeur – vous savez qu’un croquis gravévaut le double du croquis non gravé. Cela lui donne une importance que le croquis non gravé ne possède pas. Hier à la Salle Drouot s’est vendue la collection Falquet : les croquis gravés, les croquis de modèle des gravures, petits croquis assez informes souvent, de Marillier d’Eisen de Moreau, de Doblin, se sont vendus le triple & le double des croquis non gravés. Ils portaient d’ailleurs tous l’étiquette croquis qui a servi à la gravure. 2° Je pourrai vous envoyer des croquis plus intéressants quelque fois, ou « plus faits » sachant qu’ils vont me revenir gravés. 3° Je pourrais dans les payements par épreuves, de vos gravures de ces susdits croquis, joindre les épreuves de ces mêmes croquis, – après achèvement des planches, – ce qui vous ferait une collection unique. – Notez que j’ai un parti bien arrêté. C’est « ma base d’opérations » à partir de cette année. C’est que je ne fais & que je ne veux faire que l’Eau-forte rare. Ce n’est pas seulement une affaire d’argent, c’est une affaire de goût. En fait de réputation je suis un délicat vous le savez presqu’un « aristocrate ». Je hais le public bourgeois & je suis fort aise lorsqu’un Monsieur riche & crétin me dit : « qu’il n’aime pas beaucoup ce que je fais ». Je suis ravi !!! Mon public & je le veux ainsi, est un public de délicats comme moi, & je n’ai rien à voir avec les foules, – que je porte en mépris, – comme je le disais dans un article d’art récent. Ainsi votre gravure des Exercices de Mr Roch . que je regrave entièrement,

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naturellement, votre gravure ne devant me servir – (dans ce cas là), – que d’excellent décalque, sera tirée à un très très très petit nombre & par conséquent doit être gardée rare& chère. Croyez vous que si je vous envoie une épreuve de cette planche jointe à une autre de même valeur, tirées par moi sur Japon (et il faut que je vous dise que je suis un des « bons tireurs » de Paris !!) vous ne serez pas aussi bien compensé de la peine que vous donne la gravure d’un petit croquis, (car je ne vous demanderais pas de me graver ces croquis dans de grandes dimensions), vous ne serez que si je vous envoyais en payement de la gravure de ces petits Croquis, un autre petit croquis ? – Réfléchissez & choisissez car moi, cela m’est égal, vous le sentez fort bien.

– Ce que je vous en dis, c’est absolument & purement pour donner plus de prix à votre collection ; voyez vous l’intérêt pour vous commegraveur, d’avoir à coté de tous vos croquis, soit crayon, plume ou même couleur, la reproduction achevée de ce même croquis, – et en plus, d’autres épreuves très rares qu’il vous serait absolument impossiblesde vous procurer, sans assez bien d’argent, – et encore !!!

– Je me suis fourré dans la tête, d’avoir chez vous comme chez quelques amis à moi, comme Mr Olin, une belle collection d’eaux fortes & de croquis, vous savez que je ne garde jamais rien chez moi, c’est mon luxe de soigner mes collectionneurs. – Je vous disais tout à l’heure que j’ai trois à quatre cents croquis, études esquisses, projets avancés etc etc, je pourrais vous dire cinq ou six cents. C’est effrayant ce que j’ai « entassé » et ce que j’ai

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travaillé d’après nature & d’après ma « vision intime ». Sans exagération il y a là une œuvre. C’est que je suis un paresseux « electrique » – un paresseux à la vapeur. Le paresseux moderne !!

Avant de commencer à vous envoyer tout cela je veux que nous nous entendions bien, car notez que c’est pour moi aussi un grand travail & de « complémentarisme» surtout !

– Vous comprenez que « vous gagnerez par exemple à ceci : Je vous envoie une grande planche ou un grand dessin, ou un petit dessin, à reproduire. – Je vous le paie, – (mettons que ce soit le grand,) par quatrecroquis. – Si je vous demande de me graver ces quatre croquis de payement, croquis que vous allez garder, je les retoucheraiavec plus de soin si je sais que vous allez les graver !! – Bref, je voudrais en principe que vous me graviez tous les croquis quelconques en couleur ou autrement que je vous enverrai en payement, – contre des épreuves d’eaux-fortes rares. <Voilà la proposition annexe de celle de l’an dernier> : C’est pour vous comme je viens de le dire, une belle proposition à accepter ce me semble.

– Avantages 1° de faire une belle collection et de vos gravures – achevées, – & de celles que je fais en dehors de votre intervention & qui seront nombreuses!!

2° d’avoir des croquis plus complétés, plus soignés, ce qui est un travailen plus par moi.

3° d’ajouter du prix à vos croquis par la gravure, & un prix double, <en cas de vente, il faut tout prévoir.>

Voilà. Répondez moi Mon Cher Evely, je dois vous faire un premier envoi de huit croquis à la fin de la semaine, au plus tard, au commencement de

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celle qui va venir, et je désire savoir à quoi m’en tenir avant de vous envoyer ce croquis & surtout avant de les retoucher, car la retouche est différente. –

– Ainsi pour la gravure de ces huit croquis donnés en payement des deux premières planches, vous recevriez seize épreuves rares. Car à propos d’épreuves il ne faut pas vous imaginer que mes nouvelles planches sont abandonnées aux hasards comme mes anciennes !! Aucune épreuve ne sort de chez moi qu’à mon bon escient, & l’on tire chez moi, quand je ne tire pas moi-même. Toutes les épreuves sont signées. Donc pas une épreuve <au hasard :> Je vous envoie en épreuves pour la gravure de ces croquis le prix que me demanderait Charreyre pour la gravure de ces mêmes croquis, donc vous voyez que même au point de vue absolumentmatériel vous n’y perdez pas.

Voilà un long bavardage. Cela vous prouvera que je tiens à ce que nous nous entendions bien avant de commencercar maintenant cela va marcher.

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