Lettre de Félicien Rops à [Léon Evely]

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Je n’ai pu aller vous voir à mon dernier voyage en Belgique, je n’ai fait que traverser Bruxelles au galop, parce que je savais que je devaisy retourner vers la fin d’octobre, & peut être plus tôt.

J’ai à vous demander un service, & voici en quoi il consiste.

Je vous enverrais un dessin, en garantie d’une valeur de frs 500 (valeur marchande,) & vous me feriez parvenir, par colis, ou par plusieurs colis postaux tous les cuivres faits à mon intention que vous avez : Diaboliques, La femme à la Guillotine &c &c &c – J’en ai besoin pour une affaire de première importance ; une collection destinée & achetée d’avance par la Bibliothèque Mazarine, & qui doit contenir les

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principales pièces de mon œuvre, hélas ! bien difficile à compléter. J’ai compté sur vous Mon Cher Evely & sur votre vieille amitié.

– En octobre, je vous porterai les dessins des Sataniques dont je vous ai parlé, je reprendrai mon dessin & tout sera dit ; nous reprendrons le cours de nos travaux en collaboration. Je joints à l’envoi du dessin une épreuve d’une aqua-tinte très rare : l’Incantation. Une grande planche qui m’a donné des cheveux gris. Enfin ! – j’avoue !

Je ne vous ai jamais soupconné Mon Cher Evely, d’avoir fait commerce de mes planches, comme vous sembliez le croire dans votre dernière lettre.

– Une chose m’a surtout contrarié dans tout cela & il faudra quand j’irai à Bruxelles que vous me donniez à cet endroit un bout d’amicale explication : il y a eu (il y a deux mois, en plein été, ce qui était une idée assez cocasse,) une vente de Rops à la salle Drouot. Malgré le soleil & l’absence des Parisiens, cela s’est bien vendu. Or au n°222 du catalogue, on annonçait une épreuve d’une des Diaboliques de Barbey d’Aurevilly. Grand Format. Cette épreuve venait de Deman à ce qu’il paraît. J’étais absent, je n’ai pu assister à la vente, mais je connais la personne qui l’a achetée, elle est en vacances pour le moment, mais à sa rentrée, j’irai lui faire visite, & je demanderai à voir la pièce. Or, Mon Cher Evely évidemment puisqu’il n’y a que vous qui avez gravé grand format, les Diaboliques, que je n’en ai jamais eu un cuivre dans les mains, puisque vous les avez gardés, vous avez été victime d’un vol, voilà tout. Seulement vous m’avouerez que c’est fort désagréable, parce que les Diaboliques ne m’appartiennent pas. Elles appartiennent à Lemerre qui m’a autorisé à les reproduire à la condition que le prix de la vente des grandes épreuves serait partagé entre moi & lui. Il m’a demandé des explications sur ce n°222 ! (Deman doit avoir le catalogue de cette vente, vous pourrez vérifier,) & je n’ai pu rien lui répondre que ceci : que probablement vous étiez victime d’un rapt d’épreuve ce qui arrive quelquefois, & que je n’en étais pas responsable.

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Donc Mon Cher Ami, voilà ce que j’avais à vous demander. Tachez de me rendre service à ce propos, c’est un vrai service d’ami que je vous demande. Si vous préférez que je vous envoie à raison de trente francs la planche le montant des planches que vous possédez, en attendant mes Diaboliques, je suis prêt à le faire. J’ai besoin de ces planches, & c’est plutôt à l’ami qu’au photograveur que je m’adresse sans cependant que le photograveur soit lésé par l’ami.

Vu Mr & Mme Deman à Bruxelles. Gens tout à fait aimables & sympathiques. Je vais très sérieusement entrer en relations avec eux. Il y a longtemps que je cherche un Commerçant honnête, avec lequel je pourrais traiter sans être dévalisé comme en forêt de Bondy.

À Bientôt Mon Cher Evely, vous m’obligerez en me disant vite par retour du courrier si vous acceptez ma proposition. Je n’aurai que le temps de vous envoyer le dessin ou l’argent & vous de me réexpedier au grand galop les cuivres. Songez qu’a la fin de la Semaine prochaine je dois avoir déposé ma collection

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ès mains de Mr Lockroy ministre des Beaux Arts.

Si je peux vous être agréable en quelque chose en échange de cet amical service disposez de moi Mon Cher Evely.