Numéro d'édition: 1170
Lettre de Félicien Rops à [Élise Mériel]
Texte copié
N° d'inventaire
II/7036/10a+II/7036/10b
Collationnage
Autographe
Date de fin
2024/12/21
Lieu de conservation
Belgique, Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Manuscrits
Apostille
Félicien Rops. Lettre d'amour platonique à une Hasseltoise. "Élise". – Deux notes repondues par la jeune-fille sur la lettre de Rops. / Oui. / Merci. Je t'aimerai toujours
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S’il le faut je coucherai mon amour dans le cercueil de Lazare, je le couvrirai du doux voile de l’affection fraternelle, elle ne lira sur ce tombeau de ma passion endormie que le mot : Amitié, moi seul je sentirai battre le cœur de Lazare et dire tout bas, bien bas : je t’aime, Je vis, tu me crois mort mais je te vois à travers mes paupières closes ; je ne te parle pas, parce que si tu entendais ma voix, tu partirais encore et je retomberais dans ma nuit.
Quelqu’un…
Si tu savais avec quel bonheur je reviens causer avec toi Élise aimée tu m’écrirais tous les jours ; depuis que j’ai reçu ta chère lettre je suis redevenu bon et je crois que je regagnerai du talent, car tu ne sais pas une chose : c’est que je n’ai rien fait de bon pendant ces quatre mois marqués à l’encre noire dans le calendrier de mes souvenirs ; maintenant je me remets à peindre, mais en même temps mes craintes et mes terreurs d’enfant me reviennent, je sens trop la nature, c’est trop beau, les peintres sont stupides et ridicules, se dire artiste et tâcher de rendre ce qu’on ne peut pas rendre : l’âme et la nature ; mais idiots et infirmes que vous êtes, si vous vous sentez réellement artistes, c’est à dire si vous aimez le beau : jetez là vos pinceaux, vos couleurs, vos crayons, vos pierres lithographiques ; courez dans les bois, enivrez vous de tous les parfums printaniers n’aspirez pas au ciel comme les poètes lamartiniens,
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mais aspirez à la terre comme des hommes ; aimez la sous la forme d’une bonne et belle jeune fille qui fera briller son cœur dans ses grands yeux, comme le cristal fait briller les vins d’Espagne, – alors la terre et la nature vous diront leurs secrets et vous vous releverez plus forts et plus heureux comme le géant Anthée s’est relevé : –
La Nature est une coquette,
Et tout peintre est son amant
Qui creuse et se casse la tête
Et met son cœur en tourment,
Pour pénétrer dans la couche
De l’amante au front étoilé,
Et lui boire sur la bouche
Son secret trop longtemps célé…
Tu vois, Chère Élise, je suis un peu poëte comme tout le monde, ne le dis pas, c’est un ridicule, je fais des vers comme je râcle de la guitare ; en secret, ne le dis pas cela me perdrait ; – on dit que je ne tiens ni à ma vie ni à rien, – et je crois que je suis le dernier jeune homme qui croit à quelque chose ; – en tous cas, Élise, si tu savais quelle énergie il faut pour tâcher de devenir un grand peintre tu plaindrais fort ton pauvre Fély ; comme je conçois ce fils du Titien qui avait un grand talent et un grand amour ; son grand talent c’était la peinture, son grand amour c’était Béatrix Donato, celle dont Musset dit que la forme terrestre : « eut un divin contour » il fit le portrait de Béatrix et ne voulut plus toucher un pinceau – préférant à la gloire un baiser du modèle ; – du reste ce n’est pas pour moi que je parle c’est pour
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les autres ; à moi comme à tous ceux auxquels il est interdit d’aimer, (quel interdit ! de quel crime mystérieux faisons nous l’expiation ?) il faut les luttes terribles qui fatiguent le corps et tuent la tête afin de pouvoir jouir du repos, et dire sans trembler à la femme qu’ils aiment comme Dieu : je t’aime comme ma sœur ; à ceux là les durs travaux, la vie austère et les honneurs… on s’écarte avec respect devant ces fronts jeunes et que l’on croit que le travail seul a ridés, les rois les décorent d’aigles rouges, de lions noirs et d’éléphants bleus ; on s’incline et on les regarde passer avec envie ces galériens de la gloire ; et lorsqu’ils meurent on les plaint (au lieu de se réjouir avec ces pauvres âmes aimantes qui ont enfin quitté leurs enveloppes honorées et décorées pour aller retrouver dans d’autres mondes les âmes sœurs qu’ils ne pouvaient aimer ici-bas. – Parlons vite d’autre chose : j’ai cherché à te voir à Bruxelles, chère aimée, la chance a été contre moi le temps que j’ai passé à Bruxelles a été en grande partie pris par l’affaire Rousseau qui s’est heureusement terminée : je suis parvenu à empêcher deux jeunes gens de cœur de se tuer pour un mal entendu. – Il faut Chère Élise que tu me promettes une chose c’est de lire tous les dimanches la correspondance du Journal de l’Office de Publicité (abonne-toi si tu n’es pas abonnée), nous pourrions avoir une foule de choses à nous dire, ne te fâche pas et laisse ce petit refuge à notre affection, – (le mot affection n’est pas dangereux ma chère Élise, du reste nous pourrons l’employer comme l’emploient les médecins qui disent : une affection de la poitrine, une affection de la tête etc, etc moi
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ma belle Élise, je suis atteint d’une affection du cœur,)
N.B les Correspondances du Journal de l’Office sont habituellement parmi les Annonces – c’est le journal le plus facile pour les correspondances. – Il faut en outre Chère Élise que tu m’accordes encore une chose, tu vois comme je suis demandeur ? – cette chose c’est de rester telle que tu es, telle que je t’aime, tâche d’être heureuse, Fély te le demande à deux genoux, si je pouvais casser ma vie et t’en bâtir un bonheur avec les morceaux, je le ferais ; – reste la jolie, intelligente, et sympathique Élise que je connais ; sois forte, confiante dans mon… amitié, la plus dévouée qui puisse exister ; ne te laisses pas surtout aigrir par tous ces petits malheurs et ces petites déceptions qui peuvent arriver dans la vie d’une jeune fille, sois et reste bonne – la bonté c’est la fleur du bien, aime donc ce qui est bien et beau, – les bourgeois trouveront cela ridicule il t’appelleront : femme à grands sentiments c’est le nom que les natures mesquines donnent à celles qui s’elèvent ; – ces natures là ont des mots pour tout, surtout pour excuser leurs vices, ils appellent : leur lacheté : modération, – leur couardise : prudence, – leur prosaïsme : bon sens, – et leur bêtise : gravité ! – laisse dire et aime moi un peu, – je veux moi être fidèle à ton amitié comme je l’eusse été à ton amour, je n’aimerai personne, ne te fâche pas, Chère Aimée, laisse moi cette dernière manière de rester à toi, elle est désintéressée puisque je n’espère plus ; – si tu m’écris encore (et cela t’es permis, maintenant,) ne me dis pas de t’écrire que je ne t’aime pas, je ne le ferai pas, je ne le peux pas, il y a des bornes à toute souffrance ; je ne te demande rien que ton amitié donne la moi pleine, entière, complète ; je reste maître de moi ou peux-je me donner à toi comme un
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moine romain se donne à sa madone ; – madonna ma dame, donnare, donner, celle qui donne, quel joli mot et quel joli nom pour une femme. –
Sais-tu ce que j’ai fait depuis dix jours – je t’ai écrit vingt pages, je les ai déchirées, je ne pouvais pas te les envoyer j’avais trop laissé parler mon grand bavard de cœur, – je lui ai coupé la langue. –
J’éprouve à t’écrire cette froide lettre une gène curieuse – je ressemble à ces Grecs qui malgré tous leurs efforts ne parviennent jamais à parler que leur langue si amoureuse et si colorée, – je suis un Grec que l’on force à parler Flamand. Si tu savais !, mais non, allons viens ici, ma belle et souriante sœur, chasse tous ces brouillards avec un rayon de mes grands yeux, serre la main bien fort, plus fort, à ce pauvre Fély qui fait appel depuis dix jours à tous ses sentiments d’homme d’honneur et qui malgré tout cela se sent encore bien faible et bien fou –
Je te dis pas adieu – moi – raye ce mot méchant de notre dictionnaire –.
À toi
Fély
Réexpédie mes lettres à mon adresse poste restante à Namur quand tu voudras –
Nos lettres initiales sont donc changées pour les correspondances de journaux et pour les lettres si tu écrivais tu seras toujours MlleF.E.R. et moi F à N pour les journaux et Félicien Rops poste restante à Namur –
À toi
Je n’embrasse pas, je n’ose pas embrasser mes grands yeux – mais je pleure en embrassant tes mains
À toi
F
Détails
Support
2 feuillets, 5 pages, Vergé, Crème.
Dimensions
211 - 211 x 271 - 135 mm
Mise en page
Écrite en Plume Noir.
Copyright
KBR