Lettre de Félicien Rops à [Élise Mériel]

Page 1 Recto : 1

Méchante, comme je t’aime et comme je voudrais toujours souffrir afin de pouvoir toujours te pardonner ; dix années de souffrance et une minute de pardon ! ce n’est pas trop ; – je ne veux pas, je ne dois pas te dire ce que j’ai souffert Chère Bien-aimée, je veux que tu ne sois plus qu’heureuse, – je ferai taire les battements de mon cœur quand tu passeras radieuse, belle, souriante ; oui je serai ton ami, ton frère, ton esclave, tout ce que tu voudras ; je fermerai mes lèvres et je refoulerai au plus profond de moi toutes ces douces paroles qui sortent des cœurs amoureux comme les voix mystérieuses et ardentes qui sortaient à Lesbos des forêts sacrées ; tout, je veux tout, plutôt que ton indifférence ; c’est que je me suis senti devenir fou vois-tu, et je ne veux pas le devenir parce que je pourrais dire ton nom dans ma fièvre ; – mais sois heureuse sois contente, je ne demanderai que cela ; tiens si après avoir souffert tout ce que je veux te cacher, tout ce que je souffrirai encore et tout ce que je te cacherai pour simplement ne plus te dire que je t’aime et que je n’aimerai jamais que toi, si après cela quelqu’un te rendait malheureuse

Page 1 Verso : 2

toi mon Élise qui est ma religion et mon Dieu ; dis un mot appelle ton Fély et cet homme fut-il ton mari, je te jure que je le tuerais comme un chien. Étrange chose : ici bas le bonheur de l’un est bâti avec les larmes de l’autre ; – Ne disons pas de mal des larmes, j’ai pleuré en recevant ta lettre chérie, il y avait bien longtemps que j’aurais voulu pleurer mais mes yeux étaient secs. J’ai été en Allemagne pour tuer le mal moral par le mal physique par la fatigue, ton dernier billet ne me quittait pas la poitrine, lorsque je faiblissais, lorsque mon amour qui survivait à tout me criait de voler vers toi, je tirais ce billet je le lisais : je trouvais là une énergie amère, une force douloureuse et ma fierté se dressait sur mon pauvre cœur blessé comme sur un piédestal. – Un jour j’ai eu peur c’était à Trèves, aux Bains Romains, j’écoutais d’un air hebeté les histoires impossibles d’un cicerone idiot et…. je te vois, c’était toi – hélas non, ce n’était pas toi, c’était une jeune Anglaise ; – jamais cicerone n’a vu de voyageur aussi ému au récit des mœurs des hétaïres tréviriennes et à la description des vasques en Carare jaune dans lesquelles se baignaient les filles folles du viel empire ; – le pauvre homme n’en revenait pas : « Est ce qu’il est amoureux de cette Anglaise-là demandait-il à mon compagnon de voyage ; il ne ferait pas une bêtise, c’est la fille d’un coutelier de Sheffield qui a deux millions et qui adore les artistes. »

Mais que me fait tout cela j’ai ta lettre, l’ai-je embrassé follement – cette chère lettre

Page 1 Verso : 3

si je consent à tout !! – tiens je revis – quand j’ai vu Scheurmans partir pour Hasselt j’ai envié son bonheur, il allait te voir te parler, je lui en voulais presque ; et à propos de cela ne crois donc pas les notaires abrutis par l’exercice de leurs fonctions et par l’abus des protocoles quand ils te parlent de moi, est ce que Félicien Rops se fait connaître aux notaires ? et puis ces infirmes de l’intelligence connaissent à peine une ligne de moi, ligne dans laquelle il y a des fautes d’impression et ils publient un volume – Je vais au Pardon si je pouvais t’y voir – Ta lettre sera D le 10 mars à la poste de Bruxelles avec une autre lettre de moi plus longue parce que celle-ci ne compte pas je te l’écris en hâte, je suis témoin dans l’affaire du duel de Jean Rousseau j’ai ici quatre Messieurs sombres dans ma chambre et il s’agit de vie d’homme.

Ta lettre sera adressée

À F.E.R.

poste restante Bruxelles.

Tu me renverras celle ci et la seconde

Poste restante à Namur.
MrF. Rops

À bientôt Je t’aime je t’aime, d’amitié !!!

Méchante si je ne marquais pas ce mot tu m’en

Page 1 Recto : 4

voudrais mais au moins laisse moi embrasser mes grands yeux – je t’aime d’amitié !!!