Numéro d'édition: 1246
Lettre de Félicien Rops à [Joséphin Péladan]
Texte copié
Expéditeur
Félicien Rops
Destinataire
Joséphin Péladan
Lieu de rédaction
Bièvres
Date
1884/08/29
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
II/7043/70a+II/7043/70b
Collationnage
Autographe
Date de fin
1884/08/29
Lieu de conservation
Belgique, Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Manuscrits
Page 1 Recto : 1
Bièvres ce jourdhui 29 Aout 1884
Mon cher Monsieur & ami
gardez vous bien de paraître sans le frontispice. Je l’ai fait recommencer cette fois par Arendts
Pour en revenir au Choléra, la cause de son arrivée ici est un excès de précaution : on n’avait pas voulu curer la Bièvre « de peur du Choléra » & les saletés accumulées à Massy ont attiré l’épidémie sur la vallée.
Ma belle mère se remet bien lentement. Je n’ai pas pensé en la soignant que je puisse être atteint une seule minute, & je n’ai fait usage d’aucune drogue préservative. Si le choléra vient à Paris sérieusement, je m’engagerai dans une ambulance comme je l’ai fait pendant
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la guerre. Ce n’est pas du courage, ni davantage de la forfanterie. C’est un vif sentiment de mon inviolabilité vis à vis de cette affreuse maladie bête. Enfant je disais à mon maître d’armes dans les assauts : « Celui là ne me touchera pas parce qu’il a le nez en boule » – Le choléra a pour moi le nez en boule. Je m’en moque.
Défense aux journaux de parler de cette épidémie locale. Un seul a dit : on parle de nombreux cas de « violentes cholérines » dans les environs de Versailles. – Ce jour là trois personnes mouraient à Igny-sur-Bièvre. – Le vrai, – la vérité vraie c’est que le Choléra se promène partout en Europe, du Danemarck a la Sicile, mais sans grande intensité, en somme.
Je quitte cette chère vallée de Bièvre & ses douces ombrosités. Je retourne à la Seine & à mes gouts de sauvage & de demi-montagnard. – Je vais habiter entre Corbeil & Melun « la porte » de l’ancienne abbaye des Hauts Vignons près d’une petite localité appelée Plessis-Chênet
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« Batîments à louer » épithète vague comme ces lieux où il ne restait que des débris sans caractère, – avec des vignes en friche & des arbres décapités. – Les « bourgeois » qui se hasardaient à chercher une terre – avec pied, – audelà de Corbeil !! mettaient le nez dans ces masures mélancoliques que la clématite Vitalba, l’herbe aux gueux, couvre de ses tentacules comme pour les cacher aux regards de tous les Crépins de Vidouville (manche)
À cinquante pas de là après avoir repris leurs esprits les mâles disaient aux femelles : Hein ? tu n’as pas eu « peur ? doit-il y avoir des bêtes sous les tas de pierres ? – Parait qu’y a eu des moines là dedans, les canailles qui se soulaient avec les nonnes. En voilà qui en ont fait ! Aussi on les a guillotinés ces cochons là ! »
Vous savez que je connais par cœur tous les recoins des environs de Paris. Bien souvent en revenant le soir par la vallée de la Seine pour retrouver mon bateau « TANIT » à l’écluse du Coudray dont l’eau coule, bavarde, & intarissable comme les proses de George Onhet : – tout le long, le long de la rivière, j’avais, d’en bas, remarqué cette porte flanquée de toits déchirés qui se dressait dans un bouquet d’arbres, non sans quelque fierté cachée,
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et une secrète attirance nous faisait nous regarder sympathiquement. En sortant des « jolis chalets » de Seine-Port où Legouvé continue à faire gémir par ses coupables alexandrins, la chère âme errante de Glatigny, – la masure résignée de làhaut me paraissait être « quelqu’un ». Elle avait un je ne sais quoi de « vécu » quelque chose qui devait être à l’abri des chants Académiques. Je me la figurais habitée par un de ces êtres vieillis avant l’âge, doux, calmes, indulgents, retiré des bruits mondains, que le dix-huitième siècle appelait des philosophes, & comme en crée encore, heureusement, l’horreur de la banalité & de l’horrible mécréantise du Boulevard.
Puis j’allais reprendre « Tanit » je dinais sous un reine-Claudier qui était aussi un vieil ami, avec un petit vin de coteau à faire danser les chèvres, puis pendant que mon ami Gouzien
Évidemment je devais devenir l’hôte de la vieille porte. Elle a plein de choses à me dire, aussi des reproches à me faire & les bonnes pensées & les bons conseils vont sortir des lézardes. – Je jetterai de la gaieté
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& des fleurs sur tous ces pans de murs & je ferai grimper les passiflores & les glycines jusque sur les engrenages du Chauxfournier ! & à nous deux ma vieille porte & moi, nous regarderons
À vous Mon Cher Monsieur Péladan & à bientôt.
Félicien Rops
Je ne relis pas ma lettre, j’ai juste une minute pour la jeter à la boîte. Tant pis !
Détails
Support
2 feuillets, 6 pages, Vergé, Crème. Papier avec filigrane : Original Louvre Mill. Paris Louvre Note Paper
Dimensions
177 - 178 x 225 - 113 mm
Mise en page
Écrite en Plume noir.
Copyright
KBR
Commentaire de collaboration
Source : Hélène Védrine, Correspondance inédite, Félicien Rops-Joséphin Péladan, Paris, Séguier, 1997, p. 132-137.