Numéro d'édition: 1327
Lettre de Edmond Picard à [Félicien Rops]
Texte copié
Expéditeur
Edmond Picard
Destinataire
Félicien Rops
Lieu de rédaction
Bruxelles, 47 Avenue de la Toison d'Or
Date
1878/06/08
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
AMIS/LE/065
Collationnage
Autographe
Date de fin
2024/12/21
Cachet d'envoi
1878/06/08
Lieu de conservation
Belgique, Province de Namur, musée Félicien Rops, Province de Namur
Apostille
8 juin 78
Page 1 Recto : 1
Cher Monsieur,
J’ai lu avec un vif intérêt votre lettre du mois d’avril. Elle contenait sur les hommes et les choses des observations et des détails qui, surtout dites par vous, ont un très grand charme. Vos appréciations sur la personne avec laquelle je me suis noué dernièrement en rapport au sujet de l’achat d’une série étendue de vos œuvres, concordent en bien des points avec l’impression qui m’était restée.
Page 1 Verso : 2
Je regrette seulement de ne pas m’être adressé à vous avant de conclure, non pas que l’acquéreur ne soit entièrement satisfait d’avoir un porte-feuille aussi riche, mais parce que vous auriez peut-être saisi avec plaisir l’occasion d’avoir votre mot à dire dans une affaire qui vous touchait par certains côtés. Je ne l’ai pas fait par discrétion. Je n’ai que depuis peu de temps le plaisir de me nommer en relations avec vous, et je redoute trop d’être mis dans la catégorie des gens qui n’aiment les artistes que pour en tirer profit. Si vous m’y autorisez, je vous demanderai conseil à l’avenir en pareille occurrence. Je vous écris aujourd’hui pour vous dire surtout que votre Saint Antoine a été encadré par Bonnefoi avec un succès qui dépasse tout ce que j’attendais. Je vous assure que cette belle œuvre a reçu le virement qu’elle méritait. Vous ne pourrez guère vous en faire une idée sans la revoir. Que sert, en effet, de vous dire que le passe partout est gris foncé et que les moulures sont croquées en pointe de flèche qui concourent au mouvement extraordinaire que vous avez donné à la composition.
Page 2 Recto : 3
Des renseignements aussi obscurs ne serviront peut-être qu’à vous faire croire que je me fais illusion. Ne penserez-vous pas, en effet, qu’avec un ciel gris en plus d’un point, une enveloppe de même ton, va nuire au contraste et amollir au lieu de mettre en relief. Puis qu'est-ce que c’est ce que ce cadre à contours tourmentés? Ces pointes, ces flèches, tout ce remue ménage, alors qu’il est nécessaire qu’un cadre doit être aussi discret que possible ?
Tout cela est vrai, en théorie, et pourtant l’ensemble de toutes ces violations des règles produit
Page 2 verso : 4
cette fois un résultat étonnant et qui me plaît sans réserve. Aussi suis-je impatient de compléter cette part secondaire que je prends pour tenter de produire ce joyaux dans toute sa valeur, et vais-je vous parler de la surface extérieure des deux vantaux qui ferment la boîte.
Vous recevrez sous bande par la poste une grande feuille de papier chamois qui représente les dimensions exactes d’un de ces vantaux, et je viens vous demander
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si dans vos moments de loisir vous ne pourriez me dessiner au trait deux sujets que Bonnefoi ferait graver ici en creux. Comme lignes, ce devrait être, me paraît-il, très sobre, afin de garder tout l’effet pour le moment où les fermetures s’ouvriraient laissant voir la Tentation dans toute sa splendeur. Notez aussi que la matière est d’un noir mat. Quant au choix du sujet, j’ai à penser à vous en parler ; comment ma pauvre imagination oserait-elle parler quand je m’adresse à la vôtre. Décidez librement : les panneaux étant fort allongés se prêtent assez bien au fantastique. Que penseriez-vous de figures debout, les mains jointes, dans l’attitude de la prière et du recueillement, mais indiquant par leur physionomie générale, une intention moqueuse, sarcastique, gouailleuse ; faisant croire au premier abord qu’elles sont tout à Dieu, et révélant à l'observateur qu’elles sont tout au Diable.
Cher Monsieur, quand je vous demande quelque chose, je suis à la fois aimé et amateur, et [illisible] quand il faudra vous résoudre à
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aborder toujours en pareil cas avec moi la question d’argent ; et pour que j’achète, vous voudrez bien ne pas perdre de vue que je deviendrai votre débiteur quand votre travail sera terminé. J’aime mieux prendre pour moi la nécessité d’aborder cette question toujours ennuyeuse, que de laisser ce soin vulgaire à un artiste tel que vous. J’irai sans doute à Paris sous peu et je tâcherai d’aller vous serrer la main. En attendant, croyez cher Monsieur, à mes sentiments les plus cordiaux.
8 juin 1878.
Edmond Picard
Enveloppe
Monsieur Félicien Rops
17 rue MosnierParis
Détails
Support
1 feuillets, 6 pages. Papier
Mise en page
Encre