Numéro d'édition: 1580
Lettre de Félicien Rops à [Homme inconnu]
Texte copié
N° d'inventaire
35908
Collationnage
Scan
Lieu de conservation
France, Paris, Ancienne collection du Musée des lettres et manuscrits
Page 1 Recto : 1
Paris 28 mai
Mon Cher Monsieur,
je suis à la fois très charmé de la gracieuseté grande que vous avez eue de m’envoyer une place pour l’audition de vos Proses en Musique ; et désolé aussi ! Charmé, parce que ayant fait pianoté par ma grande fille, ne pianotant plus moi-même, votre « Album », que Delâtre m’avait prêté, je tiens en réelle estime votre talent, d’une allure très moderne : musique d’un nervosisme spécial, parisienne au possible sous-dermique, sceptique, & rêveuse avec cela, aux bons endroits. – Notez que en 1869 je « Bayreuthais » avant que ce ne fut de mode, ceci pour vous dire que je ne suis Philistin que d’apparence. – Désolé aussi suis-je, parce que je suis forcé par des invitations préalables de promener, nourrir & faire rire des Canadiens des grands lacs, qui, dans les temps, au Manitoba, (déjà embêté & souillé avant moi, par Chateaubriand, qui aurait mieux fait de polluer anticipativement Mme Récamier,) m’ont donné l’hospitalité dans leur campement, à l’époque ou Buffalo-Bill n’avait pas encore inventé le Far-West ambulant, & ou Buffalo, elle-même ! n’avait que quatre maisons, dont trois brûlées.
Ah ! Tout se paie ! – J’aurais voulu y être à cette audition pour ma joie particulière, & pour jouir aussi du bonheur des oreilles finaudes qui seront là ; car cela ne peut être « médiocre » ce que vous avez écrit, mauvais peut être, ou très beau, suivant l’âme de
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chacun, les dispositions des cœurs, ou les situations gastriques des auditeurs. Vous êtes un « heureux » puisque dans ce que j’ai lu de vous, l’éternelle & immuable bêtise des artistes est évitée, et d’emblée, par don spécial & rare. Car tous : sculpteurs, poètes, musiciens, peintureurs, à part une vingtaine de « cérébralement voyants » sont une bande de Simiesques & de lémuriens qu’il faudrait emmener doucement, en mai, sous prétexte d’omelette printanière, au coin d’un joli petit bois plein de muguets & de jacinthes bleues, et fusiller, avec le regret & la tendresse mélancolique qui se mêlent à l’abattage des vieux chiens galeux. On reconforterait l’agriculture qui manque de bras, et l’épicerie qui manque de Pottin, par cette légitime & salutaire exécution. Car Pottin eut pu être Bouguereau ou Audron. Je ne parle pas du père, qui chantait délicieusement de mauvais opera-comiques, avec la voix de Mr Buffet, mais du fils. Car les vaches ne sont mal gardées que parce que les vachers font du grand art, & que chacun ne fait
Je vous serre la main & je vous souhaite un franc succès Jeudi soir.
Félicien Rops
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indisponible x indisponible mm
Copyright
Ancienne collection - Musée des lettres et manuscrits