Numéro d'édition: 1857
Lettre de Félicien Rops à [Armand Rassenfosse]
Texte copié

Expéditeur
Félicien Rops
1833/07/07 - 1898/08/23
Destinataire
Armand Rassenfosse
Lieu de rédaction
s.l.
Date
1893/03/04
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
CPI/2
Collationnage
Scan
Date de fin
1893/03/04
Lieu de conservation
Belgique, , Collection privée
Illustration
Lettre illustrée
Page 1 Recto : 1
Frontispice de « l’œuvre Léger »
Croquis
4 mars 1893
Mon Cher Rassenfosse,
J'ai, enfin ! – après un long jour de farfouillements & de trifouillements, retrouvé les Sataniques ! Sous les cartons de séchage ! dans des fardes de papier Japonais. Je vais chaque semaine, en retoucher une épreuve, y mettre le texte, & vous l'envoyer sous un rouleau de carton. Est ce là la marche à suivre ? Envoyez moi vos « essais » régulièrement s.v.p !
Les épreuves des « Sataniques » que je viens de retrouver, sont du reste du même tirage & aussi bonnes que celles à la remarque verte, (qui restent toujours égarées ;) elles me paraissent même plus brillantes.
Rien encore de décidé, quant à l'appartement ! Il y a des mais, des pour des contre. Nous le prendrons peut être cet appartement, faute de mieux, mais c'est bien loin du centre ! C'est peut être ce qu'il faut ! Mais quelles merveilles enfouies dans ce Marais ! Je ne le connaissais pas à fond, moi qui suis cependant un friand du vieux Paris. J'ai bien regretté que vous ne fussiez plus avec moi. L'Hotel d'Albret, l'hôtel de Lamoignon « premier président du Parlement de Paris » l'hotel Barbette, etc etc, des merveilles ! J'entre à la nuit tombante dans une longue rue presque déserte. Je vois un trou noir avec l'écriteau cherché : Appartement à louer, je m'y engouffre : une entrée de bouge ! Je fais vingt pas dans la nuit, le jour revient : je me trouve sous un portique à délicieuses colonnes ioniennes, ayant vis à vis de moi une cour autour de laquelle, s'entrecroisent des balcons et des fenêtres à croisillons, un décor andalou ! C'est ici que commence le rêve : Sur une terrasse à rampe sculptée, une grande canne à la main, mince, fluet, émacié, distingué comme une fin de race, se promène gravement, un peu tristement, un enfant de douze à treize ans. Il est serré dans un jersey noir, de longs cheveux blonds lui tombent dans le dos. Il ne me voit pas, que peut-il penser ? C'est Louis XIII enfant ! Une dernière lueur d'or bruni colore tout cela. Pas d'autre vie mêlée à cette exquise évocation. Pas même la voix de la concierge pour vous rappeler la formidable platitude de votre temps ! car il n'y a pas à dire : il est « trottoirien » notre temps ! – Cet hôtel mystérieux et bizarre, c'est celui de Francoys Miron « le physicien, magicien et guarysseur du roi Charles IX ! – Si cet enfant mélancolieux ne meurt pas de tristesse en cette ruine, & s'il n'a pas une âme de droguiste en gros, il faut qu'il sorte quelque chose de cette puberté en communion avec ces pierres fantômatiques. C'est un avatar que cet enfant, quelque petit fils de mage abstracteur de quintessence, & extracteur de toxiques oubliés. Si j'étais riche j'achèterais l'hôtel de Francoys Miron, & nos fioles à vernis mols n'iraient pas trop mal avec les dames-Jeanne et les verres de Venise à potions myrifiques, qui doivent gésir en quelque coin sous la poussière de trois siècles – J'irais quand vous viendrez Mon Cher Ami vous montrer tout cela.
– Quelle ville que Paris ! La plus étonnante & subtile qui soit au monde ! Que disent les usines comme Berlin, New-York, Chicago ! Des villes sans Passé !! mais Paris quelles multiples existences ! & quelle belle magicienne & quelle femme de race que celle-là ! Et comme elle nous aime cette grande dame, cette belle bourgeoise, cet éveillé trottin, cette forte fille peuple, cette voyoute de barrières, comme elle est fière & toquée de ses artistes ! Et comme ils se sentent bien chez eux, en son chaud et parfumé giron, les derniers du Rêve !
« Bonne aux lèvres, comme aux fièvres ! »
En attendant travaillons ! Je me sens toujours ivre de jeunesse, comme au temps où « al’vesprée » au rampart ad Aquam, où « dins l'reüe des Piconnette » je courais après les jupons « del'feïe Brichard » li feïe do boled'gi ! Je lui faisais des vers ! Et de classiques acrostiches qui commencaient comme cela : – Elle s'appelait Adeline, cette petite déesse à la clamyde quelque fois douteuse ! :
A – Aimable et tendre fleur objet de mon envie
D – De tes parfums mon cœur s'est enivré !
E – En toi j'ai mis le bonheur de ma vie….
L – etc etc – etc & !
I
N
E
R.I P.
Qu'est-elle devenue la jolie boulangère aux cheveux poudrés de farine comme Freya la déesse du Nord ? Dont les baisers sentaient le bon pain & la pomme de reinette, qui m'aimait « de tout son cœur », et qui avait si peur pour son petit galant, – et pour sa blonde tête aussi ! des calottes de Damoclès du père Brichard, quand nous revenions à la nuit, d'avoir été nous aimer dans les genets « do chestia », al'montagne des Biches !
« Où est celle qui fust heaulmière ! »
À Bientôt Cher Ami,
Félicien Rops
engraveur sur vernis durs & mols.
Détails
Support
.
Dimensions
187 x 134 mm
Copyright
Collection privée