Lettre de Félicien Rops à [Théodore Hannon]

Page 1 Recto : 1

Fais comme tu veux ! – Tu es le maître ! Je mets à ta disposition une chambre que je prête depuis six mois à un tas de camarades qui louent un lit au mois. Le dernier occupant était Gareño un Espagnol carliste, peintre catholique, bandit, assassin, aquafortiste le tout ensemble, s’endormant en disant son chapelet sur le sein des putes, la langue tantôt sur l’image de la Santa Maria et tantôt sur le clitoris de Tata. Étonnant !! Il m’a donné l’amour de Séville en chantant des Malagueñas, & voilà !! Seulement le coin est très loin – la porte Maillot est au diable, cela te coûtera 60 cent. d’omnibus, et pour le prix de ton lit et des omnibus tu auras la chambre de Taelemans17 R. Jacob. Hôtel de Bordeaux. Cela coûte 35, 40, 45 ou 50 francs par mois au plus, suivant la chambre, service compris et on peut y travailler c’est un atelier. Je t’engage à passer tout le mois de juin ici. Taelemans reste à Bruxelles je crois. Va le voir, dans tous les cas tu trouverais la même chambre dans le même hôtel – hôtel d’étudiants & d’artistes très convenable. On mange pour rien à côté chez la mère Lanne. – Taelemans demeure rue de la Chancellerie. Somme toute je t’engage à faire ceci, – c’est plus pratique n’ayant que peu de temps à passer ici, et le lit et les omnibus te coûteront 50 à 60 frs par mois, sans compter les trajets embêtants. Si tu reviens l’hiver, c’est autre chose.

Exposition bizarre & très curieuse ! C’est Bastien dit Lepage qui enlève la timbale ! avec sa Jeanne d’Arc. Herremans a très malheureusement un four, et mérité. C’est un naïf. Est ce qu’on fait des femmes parisiennes en

Page 1 Verso : 2

Belgique !! – Son Bal masqué est une réunion de bonnes dames habillées aux Neuf Provinces et de bons messieurs qui s’amusent honnêtement, après dîner. On ne peut rien rêver de plus hideusement bourgeois ! Et des toilettes de 1875 ! et les hommes ont des chapeaux improbables. Est ce que réellement en Belgique les hommes portent des gibus en satin au bal masqué ! – Cela se faisait vers 1869 !! Il y a beau temps qu’on ne porte plus que le petit gibus en orléans discret, sombre et coquet, se dissimulant toujours. Il n’y a pas à tortiller, mon vieux Théo, on ne peut peindre la vie moderne qu’ici. Le temps de préparer vos couleurs et de déboucler votre bonne malle et vous n’êtes plus dans le mouvement brûlant de Paris ! – Et puis on ne peint pas des filles si on ne les baise pas !! Ah ! & si on ne les aime pas ! Que veux-tu que ce brave garçon andouilleux aille peindre la vie Parisienne ou même la vie Bruxelloise ? – D’abord la vie Bruxelloise n’a pas – picturalement, – assez de différence avec la vie Parisienne pour la faire en dehors. Si on peint la vie Bruxelloise on a l’air de peindre la vie de Province – en retard de six ans. – D’où les fours qu’Herremans fait toujours ici ! Et il en fera toujours, tant qu’il restera labàs et que de labàs il voudra peindre la vie moderne vivante. Et cependant il a du talent et même beaucoup. !

Le Speekaert est bien, bonne couleur, sobre & distinguée, belle exécution, manquant un peu d’accent, cela obtient un bon succès d’artiste.

Asselberghs très mauvais, Coosemans banal, très banal ! Voilà le bilan belge Delperée est 1840. Cela n’existe pas. – Verwée a un fort beau tableau heureusement, c’est un peu jus de tabac « par moments » et c’est regrettable, mais c’est un bon peintre à travers tout. –

Enfin tu as le temps de voir tout cela on ne fermera pas avant le 30 juin.