Lettre de Félicien Rops à [Théodore Hannon]

Page 1 Recto : 1

Pas de Chrysalide dans ton journal !! D’abord parce que j’exècre la reproduction sur pierre en principe. – C’est baveux, bête, sans vie, boueux & poché. Voilà !

Je te ferai à Paris un titre pour l’Artiste, pas sur papier autographique c’est encore un procédé d’expéditeur de ministère & de commis de bureau. C’est bon pour lancer des invitations « à comparoir » et des « appel aux électeurs » ! Les artistes ne doivent pas passer par la presse à copier & l’encre « triple communicative ! Pouah ! Que devient l’esprit dans ces tailles, fangeuses comme les ornières du chemin banal ?

Tout ce que je peux faire, c’est ou de faire un dessin sur papier à la plume & de le faire mettre sur zinc par Yves & Barret comme pour l’ondine, (mais ils font beaucoup mieux maintenant, les susdits ;), ou de faire sur pierre le dessin avant de le zinguer comme dans le procédé de la Vie Parisienne. À la Vie Parisienne on travaille sur pierre au lieu de dessiner sur papier cela donne plus de finesse & de jeu. On se crotte moins qu’avec

Page 1 Verso : 2

l’autosyphilographique.

Fais la rue Sans-Souci cela me paraît devoir venir bien.

Éviter les noirs ! Soyons blonds comme Mimi Pinson, la blonde que l’on connaît !

Drôle, le petit menu. très amusant pas mal mordu, mais pourquoi ces lourdeurs dans le coin de droite ?

Règle générale : Les morsures énergiques quand l’on commence l’eau-forte sont l’écueil. Il vaut mieux revernir recouvrir les parties que l’on ne veut pas faire remordre & faire recuire les fortes tailles. –

Je suis forcé de faire effacer deux lettres de l’entête de la Chrysalide, j’ai oublié l’H ! de Chrysalide. Ou plutôt je ne l’ai pas oublié ! Je m’étais fourré dans la tête que Chrysalide s’écrivait Crysalide comme cristalloïde, crucifère. cutané &c J’ai pris un Χ pour un κ ! Ah ! mon jardin de racines grecques a besoin d’un fort coup de râteau !!

Fais moi le plaisir de graver dans un petit coin de la planche de la Cuisine Wallonne un

FR ou un FR

j’ai oublié de signer.

Bonne idée d’aller à Genck avec Pantasiz, – il a fait ici des choses charmantes. Je le trouve le plus fort des nouveaux comme paysage & sa facture au couteau donne des choses que jamais la brosse ne donne. Je ne sais pas m’en

Page 1 Verso : 3

servir & je le regrette, car cet instrument « moderne » est une trouvaille. Hagemans en pince fort joliment. – C'est plus spirituel que la brosse, mais la pointe de l’eau forte m’a gâté la main & quand j’ai le couteau au poing je me trouve adroit comme un bœuf avec un burin. – Et quelle jolie gamme, non seulement dans les gris, mais dans les blancs ! – le gris tout le monde en fait, mais les blancs ! Et c’est d’un art élevé, et plus qu’on ne semble le croire ! Chacun doit suivre sa nature, ma nature est de faire de l’eau-forte avec une brosse & des couleurs, & j’en fais !

L’Eau forte à Paris est bien malade, en ayant l’air d’être bien portante ! Partie de l’eau-forte des peintres dont Jacquemart & Braquemont étaient les maîtres, eau-forte toute d’improvisation de nerf & de nature, elle remonte ou plutôt elle redescend maintenant de par le pignochement & les pignocheurs à l’ancienne gravure au burin, & à l’eau-forte des reproductions de tableaux du 18e siècle dite eau-forte des graveurs & qui a reproduit les Boucher les Lancret &c &c Les bourgeois adorent cette eau-forte qui est proprette & qui leur parait « colorée » – Tout le monde la fait maintenant, on travaille au burin à la pointe sèche ébarbée, on fait remordre tout cela au rouleau & on en livre autant qu’on veut « fin courant ! ». –

Moi je remonte ce « courant » avec quelques « bons esprits » ! – Braquemont & moi nous allons être plus brutaux que jamais, avec des délicatesses !!, des tigres en habits de cour ! Ah ! les cochons de graveurs au burin ! Voyant

Page 1 Recto : 4

que cette belle grosse fille d’eau forte allait les « tomber » comme des escouillés qu’ils sont, il lui ont fait la cour se sont fourrés dans son lit & au lieu de l’engrosser joyeusement & virilement ils l’ont masturbée jusqu’à l’énervement ! comme des Procurez vous des Jacquemart & des Braquemont & c’est là le vrai, la vraie eau-forte des peintres ! Ne sortez pas de là. Moi je ne suis rien à côté de ces deux là. le reste n’est qu’un tas de tailleurs en chambre « des pompiers » comme on dit dans la confection.

– Tous ces reproducteurs de tableaux avec finasseries, morsures à clavettes doubles & à basse pression, avec burin àu huit trous en rubis, marchant deux mois sans cracher ne sont que des reproducteurs – et pas dans le bon sens du mot ! – la race porcine se reproduit elle même & s’améliore, eux reproduisent les autres & ils dégénerent, c’est de la voyougamie.

Je vais écrire tout cela dans le Journal des Beaux Arts de Siret

….. la vérité m’y pousse.

Ainsi parlait jadis l’empereur Barberousse !

– N’oubliez pas mon conseil : Des Jacquemart & les merveilleux Braquemond puis ou avant tout Rembrant ! – Le reste ne vaut pas la peine d’être acheté, & je mets, mon vieux, toutes mes machines dans le tas ! Quant à la vieille Johanna elle est assez réussie, – assez – et pas plus. – La pointe d’ivoire – Rops invenit, – donne des bruns absolus & de grands grislarges d’un seul trait, ce qu’on ne peut jamais

Page 2 Recto : 5

obtenir par la pointe fine, qu’en mettant de petits traits en faisceaux ce qui est un fichu travail, bon pour les Calamâtés. Mais ! elle a un mais cette garce de pointe d’ivoire c’est la morsure la plus difficile qui existe. on rate une planche sur deux, il faut la prestesse d’un télégraphiste pour réussir.

Braquemont en a fait deux ou trois très belles entr’autres un frontispice de l’Album des Aqua-fortistes de Cadart, un peu noir mais d’une belle morsure. Je vais en faire beaucoup le soir ici, & je te les enverrai ainsi qu’à Nys. – Il y a de la pointe d’Ivoire partout dans la planche que je fais maintenant. –