Numéro d'édition: 2145
Lettre de Félicien Rops à [Léon Dommartin]
Texte copié

Expéditeur
Félicien Rops
1833/07/07 - 1898/08/23
Destinataire
Léon Dommartin
1839/09/11 - 1919/08/23
Lieu de rédaction
s.l.
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
II/6714/39
Collationnage
Autographe
Lieu de conservation
Belgique, Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Manuscrits
Page 1 Recto : 1
Comme je te le disais : j’ai été très peiné des aventures où s’est lancée cette pauvre Émilie. Elle en pâtira évidemment. Ton trop grand amour de la liberté & du vagabondage t’a souvent fait négliger un peu l’enfant, & tu la « déposais » trop facilement chez des amis quelconques. C’est ce qui l’a perdue. Si tu te juges équitablement comme tu la juges, elle, tu dois aussi, Mon Vieux, reconnaître tes torts. – Quand on a une fille, vois-tu il faut lorsqu’elle n’a plus de mère tout sacrifier pour elle jusqu’à son mariage. Il n’y a pas à tortiller : c’est souvent embêtant, mais on n’est pas seulement né pour s’amuser, regarder les couchers de soleil & canoter. J’ai été souvent moi très embêté de devoir être pendant de longs mois de vacances le cornac de ma fille, mais je ne l’ai jamais laissée seule une minute. Rien ne t’empêchait d’en faire autant.
Évidemment il y avait la des prédispositions physiques particulières qui ont aidé à son malheur. Mais lorsqu’on est étroitement surveillée, & que l’on sent une mère chez le père, tout cela avorte forcément. Ce que je dis là est sévère, mais à toi je ne peux rien cacher ; & sois persuadé que je suis le plus indulgent, – (naturellement parceque je t’aime plus que les autres) – de tous tes amis. – Car on est à cet endroit, ou plutôt on a été, très sévère pour toi et ceux qui ne te quittent pas à Paris, notamment ; quoi qu’ils n’en eussent guère le droit. Je suis heureux de voir que c’est un garçon que tu as de ton deuxième mariage au lieu d’une fille, car tu es organisé moralement d’une façon qui ne te permets de ne rien sacrifier ni de tes plaisirs, ni de tes peines, ni du reste, pour ceux dont tu partages la vie. Je ne te blâme, ni ne
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te félicite, je constate que tu es organisé d’une façon presque comiquement personnelle, voilà tout. Prends garde seulement d’en pâtir encore. Car j’ai remarqué que les organisations comme la tienne pâtissaient toujours de leurs jouissances, et de leur naïf égoïsme. On dit que ta femme est très malheureuse. Cela ne me regarde pas. Cela c’est affaire à toi, rien qu’à toi. Je voudrais avoir ce que tu as publié sur l’Algérie. Tu sais quel plaisir j’ai à te lire. Je suis vieux & je n’aime que les choses bien écrites, en « vieux jeu ». Je ne comprends trop rien à bien des modernités. Tu as toujours eu beaucoup de talent, plus que tu ne l’en juges, crois-moi ! Une de mes tristesses, c’est que tu le gaspilles. Tu es aussi fort que J.J. Weiss et que tous ces gens là. Seulement tu as écrit dans des caves. Envoie moi je te prie ce que tu fais, c’est un régal pour moi.
À toi bien Mon Vieux, je t’embrasse, et viens ici nous flânerons en Gâtinais. Je te ferai goûter du clos de la ½ Lune, un joyeux Piccolo, couleur gris-rosé tout à fait réjouissant. Rops vigneron ! tu ne t’attendais pas à celle-là hein ? Et je vends mon vin !! Pendant que je t’écris je vois d’ici mes « mounières » qui dansent sous le soleil qui les argente. Les vieux caps de France Monsieur !
À toi bien & bonnes amitiés à ta femme & à l’enfant que j’embrasse.
Fély
Détails
Support
1 feuillets, 2 pages, Vergé, Crème.
Mise en page
Écrite en Plume Noir.
Copyright
KBR