Lettre de Félicien Rops à [Léon Dommartin]

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Si tu crois Sale plumitif que tu es, que tu en seras quitte en m’expédiant ta carte comme un marchand de bouchons tu te trompes ! J’exige ta lettre, cette fameuse lettre promise au retour de ton voyage en Ardenne & que je n’ai pas encore eu l’heur de voir venir ! – J’irai te tirer le nez, seul endroit saillant de ta méprisable individualité, si je ne vais pas en février monacoter un brin. C’est que ce rayon de Soleil hiémal me manque fortement ! Enfin, si je ne vais pas à Monaco j’irai à Bruxelles, ce qui sera plus agréable à mon cœur, mais plus désagréable pour mon rhumatisme. Veux-tu me dire bourgeois repus que tu es, ce que tu fais, ce que tu dis, ce que tu penses de toi, des autres & de mon dessin « L’attrapage » ? Gouzien te maudit en vers, en prose, & en musique. On n’a jamais vu de lâcheur plus lâche que toi. Du moment ou tu as ta pipe & un coin de table pour reposer tes narines tu es satisfait ! – Mais marie-toi au moins ! tu te frotteras comme un baudet licencieux entre les muqueuses conjugales, tu feras des enfants qui perpétueront tes vices & roupilleront comme papa à l’heure du camembert. C’est ce que je te souhaite de plus dûr. Au fait pourquoi ne te maries-tu pas ? Tu vas te laisser devenir vieux comme

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les brioches de l’an passé puis tu épouseras la fruitière du coin & tu seras « percé cocu ! »

– Ce sera bien fait et Emile Hermant qui a autant de cheveux que la plaine des manoeuvres, aura le même sort ! – Mais que fais-tu donc de tes soirées & de tes journées ? Cherches-tu à diriger les ballons ? – Si je ne connaissais la forte inclinaison à 45 degrés pôle sud de tes érections, je croirais que tu travailles à la dynastie Léopoldienne.-

Je t’attends !

Ici rien de nouveau, ou plutôt tout est nouveau comme toujours. L’Avenue de L’Opéra est ouverte, le boulevard St Germain percé, l’Exposition debout, Mme de Broglie à terre on joue Hernani & c’est encore & toujours merveilleux, quoiqu’en disent les baveux du Figaro ; – Le Club, au Vaudeville la belle Madame Donis au Gymnase, Marceau à l’Historique & l’oncle Tom à l’Ambigu ! – On rencontre des Indiens Têtes plates au Café Riche avec des gilets en cœur. C’est la great exhibition qui débute. Cela sera très beau d’ailleurs, & le dôme du Trocadéro vu du Pont de la Concorde, par ces beaux couchers de soleils d’hiver que nous avons tant admiré ensemble, rappelle la grande mosquée de Ste Sophie, les brouillards de la Seine font une belle ligne bleue qui vient lui noyer la base. C’est la Corne d’or. Beau je t’assure et grand. Je me promène beaucoup à pied pour ma santé cet hiver, je grimpe de Bougival à Louveciennes, d’ou se developpe ce beau panorama aussi splendide que n’importe quelle splendeur, qui commence par les îles de Croissy qui dorment à l’avant plan

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dans leurs courtines de peupliers, continue avec la terrasse de St Germain à gauche, la Malmaison & le Mont Valérien à droite Maisons Laffitte plus loin & Argenteuil dans le fond, à l’horizon Montmorency, Enghien & le nouveau fort blanc de Cormeil-en-Parisis. Je reviens par le Château de la Marche à Versailles. Le beau pays ! & je suis presque toujours seul ou presque seul à voguer sous les châtaigniers. – Enfin cet été nous nous paierons de fortes parties. J’espère que tu prendras un mois au moins de vacances. Je t’offre un lit naturellement. Arrange déjà tes affaires et prépare tes grègues. Vous devriez vous arranger avec Edmond pour faire votre voyage ensemble. Le vrai mois sera du 15 mai au 15 juin puis revenir à l’automne franc voir la fin. Ne viendras-tu pas cet hiver ? Une chose bizarre : on devient républicain en France c’est à ne pas en croire ses yeux & à se tirer les oreilles à soi même ! Mais c’est ainsi. – Ce qu’il y a de plus drôle c’est que le coup d’Etat n’a pas eu lieu parce que « personne n’a bougé » Mac-Ducrot s’est trouvé en présence du vide. Et cela ne se mitraille pas, rien du tout ! Mais on a été près de la chose :