Numéro d'édition: 3239
Lettre de Félicien Rops à [Léon Dommartin]
Texte copié
Expéditeur
Félicien Rops
Destinataire
Léon Dommartin
Lieu de rédaction
Paris
Date
1889/07/19
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
1972/A/840
Collationnage
Scan
Date de fin
1889/07/19
Lieu de conservation
France, Paris, Fondation Custodia
Apostille
a Leon Dommartin
Page 1 Recto : 1
Paris 19 juillet 1889
Mon Vieil,
Commence d’abord par prier dare-dare ta bonne & charmante femme de t’écrire sur un beau morceau de papier la recette pour conserver les fèves de marais. après nous causerons !
Je te savais en Ecosse, ne te voyant plus d’ailleurs dans la Chronique, & pour ce, je ne t’écrivais pas ! – Carlier disparu, fondu, volatilisé. Je suis certain qu’il aura repiqué vers Chooz, peut être en flanquant sa démission. Il en est capable !! Chaque fois qu’il vient à la demi-Lune, ce sont des lamentations sur Chooz & sur la vie des Champs. Il est né vigneron ! Il retournera à son clos, & il y sera heureux ! – Oui, mon Vieil me voilà décoré comme un simple Bouguereau. Cela s’est fait simplement & fort gentiment. Bayens a été fort aimable ! Lockroy en arrivant aux Beaux-Arts avait déclaré qu’il décorerait Zola & Rops. Il a tenu bon, il avait entamé l’affaire, & les autres ont bien dû la continuer. Voilà le fin mot.
Page 1 Verso : 3
Napoléon Ier doit faire une drôle de gueule dans « l’Empyrée » ! – Je ne suis ni content, ni mécontent. Seulement cela a un bon côté : c’est que la légende du Rops « fabricant de cartes transparentes » est bien forcée de tomber à l’eau. Et vraiment cette légende devenait par trop répandue par les « Gens du Bel Air & les personnages en Bonne Posture ». Puis cela a failli faire crever « d’Indignation » un tas de rosses qui ne savent pas dessiner un bout de nez, mais qui protestent au nom de l’École, L’École !! – Joie des jeunes, & embêtement des officiels. Ces machines là ont du bon. Tu me feras plaisir de toucher un mot de cela dans la Chronique. Non pour la chose en elle-même, mais pour que toi, tu le dises. – Et regarde le fond des choses et l’éternelle bêtise humaine : Le premier, & il fallait un certain courage pour le faire, j’ai soulevé sans vergogne le drap de lit qui cachait les héroïsmes des accouplements humains & les perversités modernes de la Chair, – on a hurlé au scandale, & j’ai vu le moment ou mon buste serait placé à la porte du temple de la Pudeur, pour y être couvert de crachats. –
Le sculpteur Rodin, en seconde main, & m’imitant d’une façon flagrante sculpte mes « accouplements » & cela passe maintenant sans protestations !
J’avais fait la trouée dans l’hypocrisie de notre temps, voilà tout. Tu me ferais plaisir, – en parlant de la chose, de répéter ce que je t’écris ici à propos de Rodin, on le porte aux nues, comme un génie énorme, (et il a d’ailleurs beaucoup de talent) mais je t’assure qu’il en prend à son aise & que je suis dépouillé vif. Donc ce rapprochement entre moi & Rodin me fera plaisir. Tu peux dire que vingt ans avant Rodin je m’étais pris corps à corps avec le terrible Sphinx de la femme au 19e siècle. Seulement il est arrivé pour moi & Rodin ce qui est arrivé pour Millet & Breton, l’un laboure & sème, & l’autre récolte. Tout cela n’ôte rien de la valeur de Rodin ni de ses « accouplements » en sculpture, mais je réclame le seul mérite du premier pionnier en far-west bizarre et naturalien.
Page 1 Recto : 4
Pourras-tu me lire ? Je t’écris avec un clou rouillé, pas de plume honnête, mais je n’ai pas voulu attendre jusqu'à demain pour te répondre.
À bientôt & tu viendras en septembre hein ? L’Exposition bat son plein, toujours Cent mille personnes par jour, & les Deux Mondes sont ici. C’est un public qui ressemble à une exposition d’ethnographie. Je ne peux pas quitter Paris. Je suis hypnotisé par cet extraordinaire spectacle. Je veux tout voir & on n’y arrive pas ! Les curiosités les plus inattendues se succèdent sans relache. La nuit maintenant c’est Babylonien. Il y a vingt mille garces internationales qui battent cet asphalte. Cela devient formidable. On rentre à Paris où la fête commence. Au petit jour bleu de trois heures du matin le Boulevard n’est pas encore calmé, & les agents de police fourrent au poste ensemble des cow-boys de Buffalo-Bill, des ministres Chyliens, des rois de la Micronésie, des Marabouts du M’zab & des taureaux échappés des dix torils qui ornent le pourtour du Champ de Mars. Il y en avait un qui se promenait il y a trois jours comme une bonne vache, dans le jardin
Détails
Support
1 feuillets, 4 pages, Vergé, Crème.
Mise en page
Écrite en Plume Noir.