Numéro d'édition: 3431
Lettre de Félicien Rops à [Edgar Baes]
Texte copié
Expéditeur
Félicien Rops
Destinataire
Edgar Baes
Lieu de rédaction
Paris
Date
1885/01/12
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
Amis/LE/030
Collationnage
Autographe
Date de fin
1885/01/12
Lieu de conservation
Belgique, Province de Namur, musée Félicien Rops, Les Amis du Musée Félicien Rops
Page 1 Recto : 1
Paris le 12 janvier 1885.
Bonne année & bon succès mon Cher Monsieur Baes, à vous & à la Société des Aqua-fortistes Belges. – Vous allez commencer par me pardonner ce long silence, bien involontaire ; je reviens de Monte Carlo. J’ai dès que Novembre arrive la nostalgie de la lumière, & le besoin de m’étendre à l’ombre de mes vieux amis les oliviers & les caroubiers, auprès desquels j’ai vécu si longtemps.
Certes je serai des vôtres, mais il faudra que vous m’expliquiez bien ce qu’est votre exposition, & ce qu’il vous convient de recevoir. – Parlons vernis-mou : Le vernis-mou est un procédé ancien que Marvy & Decamps ont employé avec succès. C’est simple, & très compliqué quand on veut le pousser à bout. – Vous prenez une boule de vernis noir ordinaire, vous y ajouter un tiers de bon suif passé à l’étamine pour qu’il n’y reste pas d’impuretés, vous « fondez »
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font les feuilles des roses artificielles est très bon,) vous le collez sur les bords de votre planche & vous approchez le tout légèrement de votre poële pour que cette feuille soit très tendue sur la planche, & sur cette feuille vous dessinez avec un crayon de mine de plomb, dur ou tendre suivant le sujet, ou votre fantaisie. Partout où le crayon touche au vernis, il y adhère. Le travail fini vous détachez en partie votre feuille, vous placez vis à vis de la planche un petit miroir, (le petit miroir doit être placé sur une hausse, moi je me sers du dictionnaire Littré, mais il y a d’honnêtes gens qui préfèrent se servir de Noël & Chapsal,) & vous examinez votre travail dans le petit miroir. Votre contre-dessin, l’envers vous apparaitra dans le miroir en sépia, couleur du vernis qui a adhéré au papier. Si vous voyez dans la petite glace que votre travail est incomplet, vous recollez votre papier & vous reprenez ; – vous redécollez, vous regardez, vous reprenez autant de fois que cela vous paraît nécessaire ; – votre papier a toujours été décollé par le haut
J’ai longuement à vous parler de Nys qui veut retourner en Belgique. Ce serait un coup de fortune pour les Aqua-fortistes Belges. J’ai des propositions à vous
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faire ou du moins des demi-conseils à vous donner. – je suis repris du désir de refaire quelquechose la bàs, si j’y trouve quelqu’appui. Ce n’est pas pour moi que je désire me remettre un peu de pâtir, mais pour notre pays qui reste en arrière de tous les autres comme école de gravure. Nous parlerons de tout cela. Mais avant tout la nécessité d’un imprimeur sérieux est absolue là bas. Ce serait le pivot de la machine à monter. Pivot matériel mais nécessaire. –
À vous bien Mon Cher Monsieur Baës, je vous serre bien affectueusement la main
Félicien Rops
J’ai une heure devant moi, je reprends mon devis :
Il n’y a pas d’imprimeur en Belgique, je connais ceux qui y sont, ils ne savent pas leur métier & sont des imbéciles flagrants pardessus le marché. Avec un léger subside du Gouvernement, – et il faudrait qu’une Société prit l’initiative de la chose, – et quelques travaux assurés, un tireur comme Nys qui est des meilleurs d’ici, s’établirait à Bruxelles & prendrait la direction matérielle d’une publication. – Car vous avez beau faire votre possible mon cher Monsieur Baës & multiplier les Expositions avec un zèle louable et multiplier les Expositions. Une société des Aquafortistes n’existe & ne peut exister que par une « Publication ». Surtout dans un pays qu’on traverse en quatre heures du Sud au Nord. Le bruit qu’on fait la dedans ressemble à la voix d’un Monsieur qui crierait dans un chapeau. – L’Angleterre, l’Italie, l’Espagne ont des Sociétés d’Aqua-fortistes qui ont toutes leurs publications qui font connaître leurs membres à l’Étranger. Pas n’est besoin de grands frais ! Van Gelder fournit quelques mains de papier, on tire au nombre des envois, – l’eau forte ayant cet avantage de pouvoir tirer au fur é à mesure que le nombre des abonnés s’accroît. Il y a un aciéreur à Bruxelles : Evely, – tout peut donc se faire à Bruxelles.
Je rêve d’une publication, dont vous seriez vous Mon Cher Monsieur Baës le directeur spirituel car vous avez le dévouement & l’activité, avec une intelligence ouverte
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sur les hommes & les choses. À ma voix comme à celle d’un vieux sergent major, beaucoup de mes compagnons de lutte se joindraient à votre groupe. – J’irais à Bruxelles, je donnerais aux « jeunes » dans un local quelconque, quelques conférences pratiques sur l’eau forte sur le vernis mou, l’aqua-teinte, la manière noire, la pointe sèche. J’ai assez d’influence dans le groupe de la Jeune Belgique & de l’Art Moderne pour qu’il vous soutienne au lieu de vous attaquer. – Tout cela rapproché, condensé pourrait faire une force. La publication elle même pourrait servir de primes à des abonnements. Il faudrait examiner tout cela. Nys quoiqu’il gagne beaucoup d’argent chez Goupil veut quitter la maison qui a changé de maîtres, lesquels n’ont plus pour lui les égards dûs à ces demi-artistes qui s’appellent « les bons imprimeurs ». On les compte à Paris il y en a quatre, pas davantage ; c’est une occasion qui ne se représentera plus & si les Aqua-fortistes Belges la laissent échapper, ils resteront dans leur marasme. Marasme inévitable, inéluctable qui tient à la nature un peu endormie des gens.
Que de forces perdues dans notre malheureux pays par l’absence de Concorde ! – Ici les gens les plus opposés ne sont des ennemis que pour la forme. Puis il a place pour tous, il y a « des publics » pour tous & les auditoires, je devrais dire les « oculitoires » en parlant des Graveurs, ne manquent jamais. Il y en a dans tous les mondes. – Si vous saviez les gens bizarres qui passent chez moi : Jeunes élèves venus de province avec la flamme aux yeux, vieux amateurs pauvres en loques, apportant le prix de leur dîner pour avoir une épreuve, vue par hasard, & qui leur manque, & qu’on leur donne ; Bibliophiles bizarres cherchant le « 3e État » – introuvable !! – Banquiers & Juifs à l’affut des réputations qui se cachent & qui veulent faire une « ponne avaire » en dehors des marchands de tableaux. Tout ce Paris mystérieux qui fait que Paris est Paris & qu’on ne peut quitter cette ville endiablée, dès qu’on en connaît les dessous. Oui cette ville & ce peuple ont bien des défauts ! mais ils ont la foi, le cœur chaud qui fait battre rapidement l’artère, l’enthousiasme sans s’inquiéter de la nationalité, & l’absence d’égoïsme surtout ! Et pas trop de bon sens ! – Car le trop de bon sens est une qualité Prudhomesque qui empêche l’élan. – Et inutile aux vrais artistes, quoiqu’on en dise ! – La Belgique artistique végète de par le Bien Être qui rend adipeux le cerveau, de par le Bon Sens qui arrête l’Imagination aux limites des choses « raisonnables », – de par l’Égoïsme, défaut du pays, défaut anglais, défaut du Nord, qui fait s’enfermer les gens dans leur « Home » & paralyse l’Effort.
Détails
Support
1 feuillets, 1 pages, Quadrillé (quadrlllage carré), Blanc.
Dimensions
210 x 269 mm
Mise en page
Écrite en Plume Sépia.
Copyright
musée Félicien Rops (Province de Namur)