Numéro d'édition: 3477
Lettre de Félicien Rops
Texte copié
Expéditeur
Félicien Rops
1833/07/07 - 1898/08/23
Lieu de rédaction
Paris
Date
1882/04/12
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
CPEL/14
Date de fin
1882/04/12
Lieu de conservation
Collection privée
Aucune image
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Paris 12 avril 1882
Ami très Cher,
Tu as oublié que c’était Paques Dimanche dernier & que je devais être sous bois à cueillir les premiers muguets pour en parfumer les tétons de la blonde mademoiselle qui m’aura oublié aux prochaines violettes.
– Je reçois ta lettre aujourd’hui 12 avril, en revenant de Montigny sur Loing. Que veux-tu que je te parle de ce Paris poudreux, où il ne faut que passer décidément – puisque l’on ne peut s’en passer. Cette vie de cheval de fiacre me fait grand pitié. Puis je suis navré de me trouver si peu en communion avec les gens de mon temps.
– Hier, j’ai été chez Nittis, derechef, & j’y ai mis franchement le pied dans, & sur tous les plats. On ne m’invitera plus, & j’en suis fort aise. J’ai commis dans ce salon, où les artistes & les gens de plume sont aux genoux des banquiers, le plus grand des crimes : le crime de lèse-million, en disant simplement qu’il n’y avait que les gens qui dès l’enfance se mouchaient dans leurs doigts pour tirer vanité d’un mouchoir de poche,
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que les artistes & les littérateurs gens qui avaient le bonheur d’être d’être d’une classe moralement plus élevée que les autres, n’avaient pas à tirer vanité d’un fauteuil, & qu’ils devaient laisser ces petits plaisirs aux infortunés milliardaires qui n’avaient que cela, pour se réjouir en revenant de la Bourse. Bref que toutes ces ostentations, & ces ébahissements dans le luxe frais émoulu, ne prouvaient jamais qu’une piètre naissance & une éducation de hasard. – Tu vois d’ici les têtes !!! – En sortant, Banville me dit : Vous avez bien parlé à ces gens-là, mais malheureux, vous avez manqué « la vente » de vingt dessins !! – puis vous saviez donc que Mme de Nittis a été blanchisseuse ! – Je n’aurais jamais trop d’ennemis, ai-je dit au bon père Banville.
N’importe ! Il y avait une bien jolie fille dont les yeux me soutenaient, cette jolie fille est une jeune femme que tu connais, & dont je serais bien amoureux ! Si elle le voulait ma foi je referais les oeuvres de son mari ! – J’ai trouvé sa devise, au mari :
Croquis
Beaucoup d’Apelles & peu de lus.
En voilà un être édulcoré ! et froid comme une corde à puits. Tout le monde sait qu’il a une belle tête néo-grecque, mais dès qu’il parle on s’aperçoit qu’il l’a oubliée chez lui. Puis cela a été « une carrière » d’avoir cette tête là. – Demain – si sa femme le veut
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je ressemblerai au boeuf Apis & j’écrirai un gros volume sur : de la manutention chez les Assyriens. – Nous serons de force. Et enchifrené comme un cheval cornard avec cela, le mari.
Ce qu’il a de meilleur en lui c’est son père décidément.
Je suis très heureux que tu aimes Venise, j’étais certain que tu aimerais cette ville qui cause des déceptions aux gens qui ont lu de méchants livres.
C’est une ville qui consolent ceux qui l’aiment. – Consuela ! Consuela !
– Aime la, & baise la sur les lèvres. – on garde de son accointance le souvenir triste & délicat que laissent
Azure-toi bien & dis moi où tu vas. Tu me manques déja, il y a déja des choses que je ne dis qu’à mes vieux amis qui nous sont communs. Il n’y a pas de nouvelles amitiés, la nôtre ressemble à ces fleurs japonaises dont les rhyzômes dorment six mois sous terre & dont les fleurs s’épanouissent en six jours.
À toi de coeur mon Vieil ami
& à bientôt
Félicien Rops
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