Numéro d'édition: 0338
Lettre de Félicien Rops à [Eugène Rodrigues]
Texte copié
Expéditeur
Félicien Rops
Destinataire
Eugène Rodrigues
Lieu de rédaction
s.l.
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
Amis/RAM/33
Collationnage
Autographe
Lieu de conservation
Belgique, Province de Namur, musée Félicien Rops, Les Amis du Musée Félicien Rops
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Lundi
Mon Cher Vieux Rodrigues
il y a un mot de toi qui m’est revenu Samedi, après ton départ, & que j’avais d’abord pris pour une plaisanterie, c’est : « on m’as dit que tu faisais faire des dessins par d’autres. » Venant de ta part, & en causant, cela ne pouvait être que : un on dit grotesque, ou un racontar fantastique. Je n’y avais pas fait attention, j’avais un peu l’esprit ailleurs. Mais voilà que le glorieux
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de te dire que je n’ai jamais vendu de dessins signés de moi, qui ne fussent de moi, ou même non signés ! Je n’ai pas même abusé ni usé du droit qu’ont les dessinateurs & les peintres de faire masser les copies de leurs peintures ou de leurs dessins, par leurs élèves, ce qui est un travail purement matériel, & que tout le monde peut faire, quand on a six mois de dessin, & auquel tous les artistes ont recours. Il m’est arrivé comme dans le dessin que je t’ai montré de la plus belle conquête de Don Juan de faire masser sur un décalque de moi, & d’après moi, ce dessin par Legrand pendant que j’étais occupé à autre chose, (& pour lui faire gagner 20 frs !) ; mais ce dessin n’est pas destiné à la vente il doit me servir à me guider comme coloration dans la gravure en grand de ce sujet, dont je n’ai plus le dessin, les petites eaux fortes ne disant pas ce que je veux dire là dedans, ou le disant mal. N’ayant plus ni dessin, ni décalque, j’ai du reprendre pour le faire, un premier décalque du sujet, trop gros & trop grand, mais que une fois massé, j’ai réduit aux vraies proportions tout en faisant entièrement la tête, que je n’ai pas même laissé masser. Une autre fois, Legrand est venu me demander de l’ouvrage, ou à peu près. Je lui ai fait masser les Sataniques, & je lui ai acheté un dessin pour lui venir en aide. Il le sait d’ailleurs, & n’a pas été dupe, puisqu’il me disait Je ne veux pas faire cela, je vois bien que vous n’en avez pas besoin, & que vous me faites masser ces dessins pour m’aider. J’ai encore ces dessins des Sataniques, massés, ainsi qu’« un marin » à lui demandé pour les mêmes raisons ; – je te les montrerai. Je ne les referai jamais probablement, pas plus que je ne vendrai le mauvais dessin de Legrand qui dort dans mon carton,
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ont été vendues, en dessins. Je pourrais en faire des aquarelles, mais non des dessins, – à moins que d’en changer la compositions, mais je ne me ferais aucun scrupule d’en faire des dessins des Sataniques, qui ont été vendues en aquarelles. – C’est ce que font tous les artistes. Je connais quatre dessins d’un homme choisissant sa meilleure épée de Meissonnier. Il y en a trois en Belgique, signés & vendus par Meissonnier à Arthur Stevens.
– Note bien que je ne me défends pas d’une chose, qu’à moins de me gratifier d’une délicatesse de grands chemins, tu n’as pu croire, mais c’est que la persistance de ce bruit m’étonne, & je veux en trouver la source. Si je te donne ces explications c’est pour te montrer combien au contraire j’ai été délicat en n’usant pas même de mon droit de faire masser & ébaucher une production de mon esprit, par un élève ou un patricien quelconque ; comme font tous les peintres & tous les sculpteurs, – de même que
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tous les graveurs se servent de photogravures, & que tous ils font avancer leurs planches & même « très avancer » par leurs élèves ou par d’autres graveurs. Torné ne vivait que de cela ici, & j’ai vu chez lui des planches de bien « hauts Seigneurs » comme dit Buhot. Quest ce que cela prouve ? rien ! En deux jours de travail un graveur de génie, donne la Vie, l’éclat, l’éclair a une planche imbécile. Bref je voulais finir par ceci : Je défie n’importe qui de me montrer un dessin de moi vendu par moi, signé ou non, qui ne soit pas de moi : c’est simple & net !
– Un seul dessin, vendu, ou plutôt donné par moi, – à la Condition qu’on ne le vendrait pas, que l’on ne s’en séparerait jamais, que on me le rendrait pendant deux jours pour le finir encore mieux, a été vendu malgré toutes ces promesses. Le dessin est de moi, massé par Legrand, avancé & modifié par moi,
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non terminé encore, & je vais enfin pouvoir en faire ce que je veux. C’est le seul & encore : il est bien de moi, le message de ce dessin n’ayant aucune importance. Et je ne l’ai pas même laissé décalquer par l’élève !! – Voilà tout. – C’est celui donné à Nys, & j’ai flanqué Nys à la porte !
– Je crois sentir d’où ces méchancetés viennent ! Depuis six mois j’ai refusé à plusieurs marchands dont Mayer de vendre des collections aux anciens prix : Je n’ai plus vendu qu’à Duringe qui me paie très convenablement mes croquis, mes dessins & mes planches. Furieux les autres se démènent. Mayer a même dit textuellement : Si Rops m’embête, je le ferai tomber, & je vendrai de ses planches à 1 fr. 50 ! – À moi d’ailleurs, il m’a dit avec son outrecuidance habituelle : « Si je ne fais plus de réclame pour vous, vos planches baisseront de prix ! » or comme ce petit Juif, élève de Mathias, est capable de tout, je ne serais pas étonné que ces petites saletés viennent de lui, & je le saurai ! Ou de Mathias peut être, plus vil encore.
Je ne peux empêcher que l’on fasse de faux dessins de moi, mais vendus par moi ! Ce serait un peu violent ! mais des imbéciles pourraient le croire ! Donc aide moi un peu afin, que les oreilles coupables se rapprochent de ma patte.
Je te serre bien la main, & je te prie de passer demain dans la matinée, si tu le peux sans te déranger, afin de causer de cela.
Fély
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Je te demanderai en outre de me prêter tes deux dessins :
Croquis
la petite femme « émue »
et
Croquis
la petite femme dont les lombes sont d’un squelette.
Tu peux si tu veux les porter toi même ou prier qu’on passe chez toi : 131 Bd St Michel. Ce sera l’affaire d’un jour. Tu m’as promis cela.
Détails
Support
2 feuillets, 8 pages, Vergé, Crème.
Dimensions
177 x 112 mm
Mise en page
Écrite en Plume Noir.
Copyright
musée Félicien Rops (Province de Namur)