Numéro d'édition: 0431
Lettre de Félicien Rops à [Eugène Rodrigues]
Texte copié
Expéditeur
Félicien Rops
Destinataire
Eugène Rodrigues
Lieu de rédaction
Corbeil-Essonnes, Demi-Lune
Date
1892/09/19
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
Amis/RAM/136
Collationnage
Autographe
Date de fin
1892/09/19
Cachet d'envoi
1892/09/20
Lieu de conservation
Belgique, Province de Namur, musée Félicien Rops, Les Amis du Musée Félicien Rops
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Demi-Lune (Éssonnes)
Seine & Oise 19 sept 1892.
Mon Cher ami,
donne moi vite des nouvelles de ton beau frère rien de ce qui te touche ne m’est indifférent. J’espère que les moments les plus dangereux sont passés, et que tu m’enverras un bulletin de sa santé rassurant. Quel terrible événement ! J’ai vu beaucoup d’amputations pendant la guerre de 1870 à l’ambulance franco-Belge. Les premiers jours après l’amputation, sont souvent supportés courageusement & se passent avec calme. Il y a à craindre la grande tristesse des jours suivants. Les plus héroïques n’y échappent pas, et souvent cela nuit à la rapidité de la guérison. Il est bien heureux que ton beau-frère ait pu t’avoir à son chevet, et tu trouveras mieux que tout autre les paroles qu’il faut, & qui pourront lui rendre le courage & le désir de vivre.
Moi mon pauvre Rodrigues, j’ai été bien éprouvé ! Une maudite année ! Elle a débuté par la mort du
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quelquefois davantage, mes yeux se troublent ma vue s’obscurcit, et je suis obligé si j’écris ou si je lis de m’interrompre et de rester les yeux à demi fermés pendant une heure. Quant à dessiner, ou peindre, je n’ai pas encore osé me remettre au travail, je suis plein de lâcheté, et j’ai une peur horrible de constater peut être, que tout travail de gravure me sera interdit. Ne plus voir clairement ! juge ce que c’est pour un peintre ! j’ai passé de tristes moments je t’assure, d’autant plus tristes que j’étais obligé d’être gai ou plutôt de le paraître pour ne pas attrister les chères affections et les dévouements qui m’entourent.
Et tout cela a eu son comble : la mort de mon pauvre vieux frère Gouzien, mort labàs ! et cela appris par le Figaro, lorsqu’il était déja enterré depuis deux jours !! Je n’en suis pas remis. Il avait été pour moi un vrai frère dévoué, me soutenant dans les passes difficiles de la vie, de sa gaieté, de sa confiance en moi, de tout son réel dévouement. Je ne peux me faire à l’idée que je n’entendrai plus sa voix sa bonne voix sonore & réconfortante qui allait avec sa chaude poignée de main, si bonne. Il avait été l’ami des jours jeunes, et son cœur n’avait pas changé. J’ai été bien frappé dans mes amitiés et dans mes plus anciennes et mes plus chères : Émile Hermant, de Bruxelles qui se tue, pour ne pas mourir d’un cancer à la gorge, Pradelle enlevé par cette bête d’Influenza,
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et Gouzien enlevé en quelques heures d’une congestion pulmonaire ! C’est trop.
Je demande à ceux qui m’aiment encore & que j’aime réellement, et dont tu es, de me garder leur affection. J’en ai besoin. Je connais hélas ! mieux que personne mes défauts, mais je te l’ai dit déja, et je ne saurais le trop répéter : il ne faut pas imputer à mon cœur, les défauts & les travers de mon esprit. Tu m’as donné bien des preuves de réelle amitié Mon Cher Rodrigues, – j’ai bien souvent mal répondu à ces précieux témoignages d’affection, et tu aurais pu croire que je n’en reconnaissais pas la valeur ; tu dois me pardonner tout cela. J’aurai besoin de toute l’amitié des rares êtres qui m’aiment, – bientôt.
– Bien à toi de tout cœur.
Ton vieil ami
Fély
On vient de translater à Brest le corps de Gouzien. Je n’ai reçu aucune invitation, pas plus qu’à son enterrement. Personne de ceux qui l’ont aimé le plus, n’était là. Bizarre !
Détails
Support
1 feuillets, 3 pages, Lisse, Crème.
Dimensions
176 x 116 mm
Mise en page
Écrite en Plume Noir.
Copyright
musée Félicien Rops (Province de Namur)