Numéro d'édition: 0926
Lettre de Félicien Rops à [Eugène Rodrigues]
Texte copié
Expéditeur
Félicien Rops
Destinataire
Eugène Rodrigues
Lieu de rédaction
Corbeil-Essonnes, Demi-Lune
Date
1890/09/01
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
III/215/9/35
Collationnage
Autographe
Lieu de conservation
Belgique, Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Manuscrits
Page 1 Recto : 1
½ Croquis de Lune
– sept 1890
….Pour ma part, ami Scaramouche aimerais-je à être baillif ou tabellion en un beau bourg, avec rivière à brochets et à carpes, et vivre là, en bon poinct, que de courir par voies & chemins, donnant la Comédie aux Gens, leur disant leurs vrais, et leur montrant leurs visages, jusques-y compris les verrues, ce à quoi ils préfèrent les violons. J’ai mon saoul d’avoir toujours besace maigre, et les chiens à mes chausses ; de me musser comme un rat, quand d’aventure à l’orée du bois se rencontrent les sergents de la maréchaussée, n’ayant nous, pour laisser-passer que odes à Mme la Lune, et sonnets à la Belle-Étoile ! Ce qui, faut le dire, parfois nous mène en la prison prochaine, en compagnie de très honnêtes personnes : la Justice de notre Sire le Roy, sous son bandeau n’y voyant goutte, et prenant souvent pour mauvais garçons et tire-laine, les glorieux fervents du Dieu Phébus-Apollo ! lesquels serviteurs gagnent plus de feuilles de laurier que d’écus de six livres, sans compter les horions et les rebuffades des lansquenets et des vendeurs d’argent ou d’épices, lesquels se nomment : Légion !
(La Raquetta Comedie Italienne)
Voilà, Mon bien Cher Ami, ce que j’étais en train d’écrire sur une épreuve du frontispice des Œuvres Inutiles & Nuisibles lorsque j’ai reçu ta bonne lettre qui était allée au diable tâcher de m’y trouver.
Merci de ta lettre, elle n’est pas inutile cette lettre, ainsi que tu as pu le croire. Oui, je vais finir mes dessins de Zadig. Je t’y ai engagé ma parole d’ailleurs, et de telle façon que pour rien au monde je n’y manquerais je te l’assure. Le quinze je remettrai à Mr Paillet un ou deux dessins. Je tâcherai que ce soit deux.
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et ce sera probablement deux. J’ai été (et je le suis encore, très découragé. J’ai fait « ma maladie » comme le vin de Bourgogne ! Il paraît que cela arrive toujours à un certain moment de la vie artistique. Je parle de ceux qui sont sincères vis à vis de leur œuvre. Si l’on passe cette terrible banquette irlandaise, on devient un maître, un vrai, – pas un chermaître! Ne pas confondre la maîtrise, avec la
Je ne sais pas ce qui en arrivera, car je suis loin d’être guéri, mais il faut que j’arrête par devoir d’ami, mes
– J’ai donc été très découragé, de moi en premier & du graveur en second, il fait ce qu’il peut ce brave Basque qui aurait mieux fait de conduire un troupeau de chèvres en jouant de la guimbarde que d’essayer de me graver. Il fait ce qu’il peut et la besogne est aussi atroce que le résultat est canaille. Puis quoique tu en dises le payement des planches par moitié, loin d’être une assurance de leur exécution est une assurance du contraire ! À chaque instant forcé de peindre d’autres besognes pour me procurer les fonds mensuels dont j’ai besoin pour faire face aux très sérieuses obligations de la réparation de mon atelier, – je suis forcé aussi d’abandonner le Zadig, et quand je l’abandonne, je ne sais quand je le reprends. Si je touchais
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le prix net de mes dessins, la chose au point de vue matériel irait plus vite. Nous allons voir ce que vont donner les deux dessins dont je te parle. J’ai tout flanqué là depuis deux mois, ne voulant plus voir un seul croquis de moi. Après le Zadig fait, et il faut que je le fasse comprends moi bien comme si un autre que moi le faisait, que je ne m’appelle pas Félicien Rops, mais Félicien de Myrbach. Que je ne veuille pas faire œuvre d’art surtout !! Certes je ne veux pas mépriser & je ne méprise pas les Myrbach et autres Adrien Marie Bayardisant. Myrbach qui s’appelle d’ailleurs Félicien, a même cet allemand, une certaine finesse volée à Paris dont il faut lui savoir gré.
Ce qui me tracasse comme je te l’ai dit c’est ce peut d’argent – et j’ai besoin du double au moins, au bout de chaque planche. Cela me force à faire d’autres dessins d’une exécution plus rapide. Trois cents frs ne compensent pas le travail « de jours ». Si je n’avais pas besoin d’argent, cela me serait bien égal de toucher 300 ou 600 francs. Mais je ne peux attendre, et je le reconnais je ne peux faire même un dessin par mois en ne touchant que trois cents francs. Ce travail est trop long. Je suis donc forcé pour parvenir à mon résultat pécuniaire, mensuel, de faire comme je viens de te le dire deux ou trois autres dessins plus simples, plus rapides, et qui me rapportent immédiatement autant que le Zadig. –
Il me faut mille francs par mois. Je tiens à te faire toucher du doigt la chose & clairement :
Sur un mois ½ j’ai fait :
Zadig – 300
Autres dessins et épreuves 1000.
retouchées etc, et je perds encore 200 frs en moins de la somme qui m’est tout
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a fait obligatoirement nécessaire.
Tandis que si le Zadig m’était compté – 600
je n’aurais à trouver en un mois
que 400 frs ce qui est facile sans troubler l’exécution du livre. – tandis que si le
En voilà une lettre d’affaires ! Donc je ne peux dans l’avenir répondre d’un dessin par mois et seulement tous les mois ½, si on maintient la clause. tandis que j’en peux faire un par mois certainementsi on me paie la totalité du prix.
Excuse moi de te parler d’argent. Mais j’en ai eu très besoin de tout ce temps, j’en ai trouvé avec d’autres dessins, et il y aurait deux ou trois dessins du Zadig de faits, mais que je ne pouvais faire avec le payement de moitié, le travail très menu, ne me rapportant pas assez pour le besoin pressant de fonds qui m’étranglait, & me forçait à « gagner, tout de suite la forte somme.
Ah ! je n’ai rien à reprocher aux « marchands du temple ! » cependant » il le faut ! pour un an encore puis je serai libéré. Et je pourrai si je ne me sens pas transformé ne plus toucher un crayon et laisser à d’autres la vanité d’être un dessinateur quelconque, décoré & faisant très gentiment tout ce qu’on lui demande.
À toi bien vraiment d’amitié et merci
Fély
Détails
Support
1 feuillets, 4 pages, Lisse, Crème.
Dimensions
180 x 226 mm
Mise en page
Écrite en Plume Noir.
Copyright
KBR