Lettre de Félicien Rops à [Eugène Rodrigues]

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J’écris cette lettre à Cancale Mon Cher Rodrigues parce que j’ai manqué le facteur ce matin et qu’ainsi faisant, la lettre partira ce soir aujourdhui Lundi. Elle me coûte plus à écrire que tu n’auras à la lire. Ma planche est fichue. Il n’y a qu’une chose à faire : aller chez Arents qui a le cliché, et lui en faire faire une reproduction, sans vernis. Dis à Arents qu’il porte cela à mon compte, c’est tout naturel.

Il faut que je te raconte, tristement, ce qui m’est arrivé. Tout d’abord, l’oubli de ma loupe, – voyage à St Malo pour en acheter, attendu que personne, excepté moi, ne peut la trouver à Paris dans mon atelier. Pas de loupe à St Malo, on trouve « d’horloger » d’entomologiste, de botaniste, mais pas de loupe à graver. Je commence, je fais vingt tailles avec un vieux lorgnon qui ne m’aidait guère, comme je ne voyait presque pas le travail fait, je m’imagine qu’en organisant un transparent, je verrai mieux, retour à St Malo pour y acheter un chassis, du grand papier calque, et des punaises pour fixer le tout. Pas de chassis sans toile. J’achète une toile, je l’enlève du chassis et j’organise mon transparent. Seulement le transparent organisé, je constate que j’y vois moins. Je continue un travail douteux. Je fais les mains de la Dame, arrivé à la figure, je sens que je m’embrouille dans toutes ces tailles et je veux employer pour m’y retrouver le noir que Nys, m’a donné dans une petite boite : impossible! Le noir se colle au vernis qui est sur la plaque et fait une boue noire qui me masque tous les traits. J’imagine de l’enlever très légèrement avec de la thérebentine tout disparait ! Dessin impossible à retrouver planche à recommencer ! – Je te la rapporterai

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ne fut-ce que pour te montrer mon travail, un travail inutile malheureusement.

Je vais me mettre au grand frontispice et je suis je crois certain d’en faire une chose curieuse. Ta lettre dans laquelle tu me dis « que ton volume te parait un peu maigre, m’a donné grandement à réfléchir, et me suscite une proposition et même plusieurs propositions. Les voici et je te donne une parole sérieuse que je tiendrai ce que je promets. Il faudrait faire de ce supplément un beau livre, et le remplir de croquis et de fragments (les fragments honnêtes) de ce que je peux prendre dans mon œuvre déja faite, comme dans le livre de Boutet par Maillard. En plus comme fond, six belles planches, en dehors du texte, mettons sept avec les trois que tu as cela ferait dix. Ces planches auront des marges comme celles que j’ai faites pour le Catalogue des lithographies pour les exemplaires rares. Je me mets tout de suite à cette besogne et pour te montrer ce que je rêve, je t’enverrai à Gerville deux de ces croquis extraits de l’œuvre. Je suis tout à ta dévotion, mais pour faire un beau livre. Les dessins à mettre dans le texte seront au trait, il en aura d’anciens, – les fragments extraits dont je te parle et des nouveaux comme ceux que j’ai faits en marge du livre du jeune Tinant.

Dans tous les cas, je les fais et ils sont vendus d’avance. Je les ferai passer par Gerville, tu les enverrais à ton reproducteur, puis de là à leur marchand, ou plutôt tu me les feraient remettre à Paris à l’adresse que je te donnerais. Donc à la Semaine prochaine. Je t’etonnerai. Voyons : faisons un beau livre ! Je ferai graver par Quesnel, à mes frais, et je garderai les clichés : Dulcido occulta, Dum Spiro Spero Hors d’insulte, Virtus Durissima coquit, et d’autres inédites : ad usum Delphini, video lupum etc etc.

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