Numéro d'édition: 0951
Lettre de Félicien Rops à [Eugène Rodrigues]
Texte copié
Expéditeur
Félicien Rops
Destinataire
Eugène Rodrigues
Lieu de rédaction
Corbeil-Essonnes, Demi-Lune
Date
1894/10/19
Commentaire de datation
Datation sur base de l'apostille.
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
III/215/9/60
Collationnage
Autographe
Lieu de conservation
Belgique, Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Manuscrits
Apostille
20 8br 94
Page 1 Recto : 1
½ LuneEssonnes (Seine & Oise)
Mon Cher Ami,
me revoici aujourdhui Vendredi à la besogne. Je suis assombri & mon esprit a des feuilles jaunes comme celles des peupliers qui tombent sous mes fenêtres. Filleau était un des premiers amis que j’ai connu à Paris, il avait toujours été pour moi, bon, dévoué et charmant, & sa dernière visite a été pour ma fille malade. Hier dans cet affreux cimetière de St Ouen je me suis senti bien seul ! J’ai retrouvé là Reyer, qui m’a parlé du pauvre Pradelle. Encore un des bons de parti ! – Je te porterai Jeudi à deux heures six dessins pour ton livre. Réponds-moi, pour le papier, à ce que je te demande. Cette teinte jaune ne nuira-t-elle pas au résultat photographique ? Je voudrais dessiner sur ce papier là, j’y suis fait.
J’ai deux autres choses à te demander : la première c’est que pour les croquis inédits que je te prêterai pour reproduire, je puisse au bout d’un an les graver en taille douce soit en photogravure sur cuivre, soit à l’eau forte pointe sèche etc &c.
la seconde, et en m’accordant celle-là tu me feras un vrai plaisir, c’est de trouver moyen de reproduire le passage de l’article de Hugues Rebell que je t’envoie soit dans ta préface soit autre part. Non pas pour l’éloge monstrueusement exagéré qui y est inclus, mais parce que ce passage résume mon art d’une façon particulièrement intense. Hugues Rebell que
Page 1 Verso : 2
je te présenterai sous peu, – parce qu’il désire t'être présenté, est un des « jeunes » qui a du talent réellement. Par le temps de génies en toc et toqués, qui court ce n’est pas à dédaigner. C’est un garçon très fin, timide et doux, d’une fortune indépendante ce qui lui permet l’indépendance de ses idées et de ses opinions. C’est presqu’un service que je te demande, te dirai pourquoi.
Voilà mon Vieil, tout ce que j’avais à te demander.
À Jeudi, je serai à l’atelier de deux à trois ½ avec mes six dessins.
Ton bien vieux
F
N.B Je préfèrerais – si possible que tu puisses glisser la chose en question dans ta préface, cela lui donnerait une importance plus grande & j’ai besoin d’etre défendu même par des exagérations. On me bat beaucoup en brèche depuis quelque temps. Cela me revient et cela me décourage un peu.
Page 2 Recto : 3
Croquis
[ Fig. 1: Puis-je dessiner sur cette teinte jaune sans danger pour la reproduction ??? ]
Page 3 Recto : 4
« Dans la société d’aujourdhui qui a la pudeur des vieilles courtisanes, tout art jeune sent le besoin de rejeter cette vieille défroque sentimentale et d’être psychique & sensuel comme il convient. Malheureusement chez les modernes les deux arts ne se mêlent point ; je vois d’un coté de purs intellectuels comme Goëthe & Shelley, d’autre part de purs sensuels comme Swinburne, Walt Vhitman, Musset, Baudelaire, Stecchetti. Wagner dans Tristanet les maîtres chanteurs, Kaets dans Hypérion, Félicien Rops dans ses admirables Priapées(1) me semblent être les seuls artistes de ce siècle qui aient su unir les deux génies, et en rétablissant l’harmonie de nos facultés retrouver la joie perdue. C’est vers cet art humain & divin tout à la fois que nous devons tourner les yeux. Il faut que la vie nous paraisse sérieuse et belle, il faut que nous oubliions les rires niais, et les malédictions puériles.
N’ayons donc point peur de nous adresser au seul instinct par lequel l’homme peut redevenir lui-même. Rien ne convient mieux aux dégoutés & aux blasés modernes que les tableaux de nature sans perversité, et d’une volupté noble & saine. Apprenons à aimer l’amour, non point celui des Anges, nous ne le connaissons pas, mais l’Amour de la Terre qui nous a créés, et par lequel nous vivons ; apprenons à aimer l’amour de la Terre, et nous apprendrons à aimer Dieu. »
Hugues Rebell
(l’Ermitage, mai 1894 revue).
(1) J’en excepte celles de ses œuvres où il a subi l’influence chrétienne comme les Sataniques et les
Détails
Support
3 feuillets, 4 pages, Vergé, Gris-vert?.
Dimensions
178 - 189 - 178 x 114 - 21 - 113 mm
Mise en page
Écrite en Plume Noir.
Copyright
KBR