Lettre de Félicien Rops à [Henri Liesse]

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lorsqu’il s’agit « d’affaire pressées » il serait bon que tu prisses la peine de passer jusqu’à la rue de Grammont, J’ai reçu seulement aujourd’hui Lundi soir 28 Décembre ta lettre avec le billet de Jouve ! Cette lettre avait été remise non pas à moi, mais à ma servante qui l’avait remise à la demoiselle anglaise, qui l’avait remise à ma belle sœur Marie, qui l’avait mise dans un tiroir et enfin on vient de la retrouver dans un paquet d’échantillons ! – Donc une fois pour toutes en matière d’argent, traitons cela de vive voix. C’est plus simple & cela va plus vite.

As-tu été chez Anatole France ? Je voudrais aussi te parler de la Revue Illustrée de Dumas. Toutes ces revues prennent des nouvelles, des Contes etc &c et les paient proprement. Il est impossible dans l’état actuel de la Vie de vouloir faire autrement que les autres, ou on en est victime ! inéluctablement !! « Je ne paie que les noms » me disait Marpon. – Cela m’est bien égal votre eau-forte me répétait Malherbe, à moi même, – je paie le nom que vous vous êtes fait, si vous étiez un inconnu je n’en donnerais pas 30 frs. – Il faut reconnaître cela !! Et le public donc ! – Or on ne fait un nom que par des œuvres répétées & flanquées au nez du public, incessamment.

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C’est que la misère n’est pas drôle ! J’en ai tâté, j’en tâte encore parfois, & je ne veux plus en tâter ! Que la Gloire aille au diable plutôt ! – D’autant plus que l’on peut faire bon, vite & productif. Si Flaubert n’avait pas eu 40, 000 frs de rentes, il serait mort de faim, et encore était-il garçon ! Tu te laisses acculer par la vie avec l’entêtement des fakirs de Benarès qui se laissent enliser par le Gange, sans bouger, en regardant la statue de Brahma. Tu es extraordinaire ! – Les années passent, filent devant nos yeux & s’en vont au diable & aucune ne t’apporte un prix du labeur fait. Il te faudra deux ou trois livres, rien que pour que ton nom soit un peu connu & par conséquent te « rapporte » d’une façon honnête ! Et tu attends toujours tu remets, tu retripotes ! Si je te dis tout cela, c’est que ma vieille amitié s’inquiète. Voilà deux ans, que je t’entends dire : mon roman est fait. Il l’est ou il ne l’est pas !! S’il l’est, cours vite chez Daudet. Tu n’as que le temps pour qu’il soit imprimé & qu’il paraisse en mai. Si tu attends octobre songe que ce n’est que tu toucheras des ors dans un an au plus tard. Voilà 1886 ! & voilà quelque chose comme 14 ans que tu fais de la littérature. C’est trop, pour ce que tu as fait. Je sais que tu vas me dire que tu as une montagne d’œuvres, – mais si tu continues ? – Ô le vrai mot de Baudelaire : une paire de sabots faite « dans laquelle un paysan se met les pieds, vaut mieux que dix volumes rêvés. »

– Je sais bien que tu ne les rêves pas, mais il est bougrement temps que tu donnes signe de vie, ou la vie va se venger !!