Numéro d'édition: 1158
Lettre de Félicien Rops à [Henri Liesse]
Texte copié
Expéditeur
Félicien Rops
Destinataire
Henri Liesse
Lieu de rédaction
Corbeil-Essonnes, Demi-Lune
Date
1885/09/21
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
II/7035/1
Collationnage
Autographe
Date de fin
1885/09/21
Lieu de conservation
Belgique, Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Manuscrits
Page 1 Recto : 1
La Roche-Claire
21 sept. 1885
Mon Cher vieux Liesse,
J’ai bien regretté ton abstention à notre Dimanche champignonesque. Nous avons découvert une mine de « nez-de chat » le meilleur champignon sans contredit. Tu dois le connaître c’est un fort grand champigon : le milieu du parasol mime un nez de chat brun, il est blanc avec des papilles brunes.
Croquis
on voulait te faire une surprise. Enfin nous remettrons cela à l’Été de la St Martin.
Si tu pouvais obtenir de Jouve de renouveler un billet de Cent francs sur les 170, cela me ferait plaisir, car je tremble de ne pouvoir payer les 170 frs entièrement. Écris vite à ce sujet. On remettrait cent francs à fin novembre. En novembre j’espère toucher de l’argent de Lemerre. J’en suis même certain, tandis que je suis près de la faillite ce mois-ci. Il faut absolument Mon Cher Vieux que tu me viennes voir Vendredi matin, viens déjeuner avec moi à dix h. ½. N’oublie pas : Vendredi matin. Nous pouvons faire
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une affaire fort avantageuse pour tous, mais il faut que nous en causions bouche à bouche. Je crois que l’affaire du manteau ou tout au moins de l’étoffe du manteau pourra s’arranger, nous en causerons avec le reste.
– J’aurai quelques dessins « rentrés » & qui pourraient peut être aussi se brocanter tu verras cela.
– Je compte partir pour la Belgique avec deux ou trois dessins pour tâcher de placer cela labàs.
– Je répète ton mot : il faut en sortir & le plus vite sera le mieux.
– Ne perds pas de vue ton roman & ne le remets pas à « plus tard ». Plus tard on fait autre chose. Ton roman aurait dû être pret pour octobre ou nous entrons. En cinq mois tu aurais certainement pu l’achever ou alors c’est un roman « infinissable » comme les jupons de Pénélope. Et ce roman te rapporterait de l’argent pour ton hiver. – Au lieu de cela tu le remets au printemps (?) & quand tu seras dans l’engrenage des petites nouvelles, tu n’en sortiras que bien difficilement !! J’en sais quelque chose moi qui suis en proie aux choses courtes. – Une nouvelle ne rapporte pas assez pour qu’on fonde la dessus des loisirs. Après la 1ere il en faut une 2e pour boucher le trou de la première & ainsi de suite. –
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Le romancier qui fait un roman par an & qui en vit est dans le vrai.
Ton système d’amoncellement de matériaux « exécutés » me parait faux & illogique & tu en pâtiras certainement. À ton âge il faut tirer & ne pas passer son temps à bourrer des cartouches où l’humidité peut se mettre. Tous ceux que je vois arriver sont des « exécutants » qui ne dorment pas sur la perfection. D’autant plus qu’en littérature comme en tout art, la vieille sentence : le mieux est l’ennemi du bien est la Verité pure, nette, claire. Il y a dans Tous quatre de Margueritte un bonhomme qui veut la « perfection d’un livre & la concision du style » qui est rudement juste ! – Il arrive à ne rien faire. – PRODUIRE tout est là, & PRODUIRE VITE ! Si l’on doit faire bien : cela sera bien !! Sinon ce n’est pas parce qu’on aura droguaillé trois mois de plus sur un livre qu’on ne doit y rester normalement, qu’il en sera meilleur. Voilà ce que tu n’admets pas & ce qui est bien le Vrai.
Je viens de lire un livre chaud & plein de beaux défauts : Le Crépuscule des Dieux, d’Élémir Bourges. – Je pose en fait, (& c’est l’avis de tous ceux qui s’occupent d’art & à qui j’en ai parlé) que si ce livre n’avait pas été écrit « di capo » s’il avait été remis sur le tour, il eut été anéanti. « Les beaux défauts » mais, malheureux que tu es, c’est par là que les œuvres d’art vivent & c’est grâce à eux
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qu’elles charment – comme les hommes & les femmes. – Personne ne fait un chef d’œuvre de ce temps, & les bons livres ne sont pas ceux sur lesquels on trime outre mesure. « Madame Bovary » a été écrit pour n’être pas publié & les autres livres qui ont coûté tant de transpirations à Flaubert n’y ont rien gagné. Lis les admirables lettres, ces belles pages si toniques, si clairvoyantes, si justes de George Sand à ce même Flaubert ! Je ne connais rien de plus sain à lire pour un littérateur. Et comme elle me donnerait raison !
D’autant plus qu’a ce jeu là on se crève la vie & l’on finit par jeter son outil trop lent, aux orties –
« Je te répète toujours les mêmes choses » dit Scaramouche « mais si tu ne faisais pas les mêmes choses je ne répèterais pas les mêmes choses ! » C’est mon cas & le tien. Tu es impardonnable de ne pas avoir mené jusqu’à la publication, ce terrible roman qui est le tenia de ta Cervelle & qui finira par ne rien y laisser que ta cavité cervicale.
À toi monstre incorrigible.
Fély
Détails
Support
1 feuillets, 4 pages, Vergé, Crème.
Dimensions
180 x 227 mm
Mise en page
Écrite en Plume Noir.
Copyright
KBR