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Mon Cher Monsieur Péladan,
Mon élève est venu aujourdhui me montrer ce qu’il voulait faire pour la Couverture de « Curieuse ». Je veux bien vous faire comme je vous l’ai dit une eau-forte reproduisant (avec la permission du propriétaire,) la Diane en question mais je ne veux à aucun prix la faire reproduire par un élève, ni « à peu près ». Ce dessin ne m’appartient pas d’abord & ensuite je ne veux pas qu’on en fasse une reproduction « approximative ». Donc je lui ai dit de faire une femme de profil & je changerai tout ce qui peut rappeler le dessin en question.
Maintenant je vous en prie laissez moi arranger ces dessins avec l’élève, c’est notre métier, & je sais ce qu’il peut faire & ce qu’il ne peut pas faire, vous aviez un joli frontispice, d’ensemble avec la femme à la lune. Le frontispice n’existe plus parce que vous lui avez fait ajouter une femme, dont il ne pouvait sortir pour toutes sortes de raisons. Si vous continuez à
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« l’inspirer » il ne fera rien du tout de passable. Vous n’avez pas affaire à un artiste fait mais a un élève & vous allez l’embrouiller complétement. En outre une ajoute ou un changement lui coûte une journée de travail quand ce travail est payé 10 frs cela le réduit à cinq frs. Comptez le loyer, l’éclairage, le chauffage & la nourriture, il vaut mieux pour lui alors qu’il retourne chez Monnier avec les dessins à 20 frs. Toute retouche de dessin, qui coûte une journée est impossible. Il faut prendre les dessins tels qu’ils sont, & ils sont le mieux possible le prix étant donné. Le garçon n’y arriverait pas. Ce qui est arrivé pour le frontispice qui était très bien & qui est maintenant très mal, par l’ajoute inutile & gauche de la femme du bas, où il n’y avait ni la place ni la raison d’en coller une arriverait encore. Je me suis chargé de la vie matérielle de l’élève, & il faut qu’elle ait lieu. Impossible avec ce jeu là. Il ne vous fera jamais la princesse d’Este, ni les Mérodack ni les Courtenay du livre. Il vous fera ce qu’il pourra, pour le taux convenu
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& c’est déja joli comme cela. Donc pas de retouches & pas de dessin imposé. Vous ne pouvez pas savoir le métier & les questions de métier que nous savons. Il ne vous dira rien l’élève mais cela le désarçonne & il ne ferait plus rien de bon, non pas de bon, de présentable.
Enfin, laissez faire, faites le payer exactement chaque jour à chaque dessin, c’est tout ce qu’il peut faire. – Quant à Curieuse, il fera un frontispice qui ne rappellera en rien la Diane de Bonvoisin, qui n’appartient pas à Bonvoisin, ou il fera autre chose. Je vous ai dit que je respectais trop mes dessins pour en faire des couvertures, c’est affaire d’orgueil. À plus fortes raisons je ne permets qu’on les imite. Puis il y aurait vis à vis du propriétaire une indélicatesse flagrante à autoriser cela & il aurait le doit de me trouver dans mon tort, – ce que je ne veux pas.
Je vous serre la main de Bonne Amitié
F. Rops
Et le livre des adresses – on le réclame !!! Et mes tableaux « synoptyques» s.v.p. ? – À vous. Je
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tiens à votre disposition le livre d’Uzanne.
Commentaire de collaboration
Source : Hélène Védrine, Correspondance inédite, Félicien Rops-Joséphin Péladan, Paris, Séguier, 1997, p. 152-154.