Numéro d'édition: 1260
Lettre de Félicien Rops à [Émile Bergerat]
Texte copié
N° d'inventaire
II/7043/84
Collationnage
Autographe
Lieu de conservation
Belgique, Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Manuscrits
Page 1 Recto : 1
Mardi.
Trop tard Mon Cher Bergerat ! j’ai écrit avant-hier au Monsieur qui m’avait proposé cela. Il ne reste que 80 croquis de Charles Jacques. Il y a quelques dessins assez beaux là dedans. On en veut à peu près le même prix, ce qui est ridicule. Ces dessins sont des dessins libres, quelques uns sont faits d’après modèle. C’est assez remarquable de voir à quel point Ch. Jacques a toujours été impressionné par Millet même dans ses débuts. L’acheteur des « Millet » s’appelle Penell ou Pennel, américain, comme tous les acheteurs d’aujourdhui. Ah ! les belles choses que ces dessins de Francois Millet ! Depuis le grand Ixion de Michel Ange on n’a plus fait de ces beaux accouplements de bête humaine, le seul moment où l’homme devient Dieu, malgré les écharpes des prefets de police ! Vous savez que Francois Millet « le peintre biblique » des imbéciles, n’est pas du tout connu ! C’était un puissant Rabelaisien attristé par la vie,
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ou plutôt par l’Existence.
Il avait voulu – toujours ! – faire la Grande Nudité. C’est la misère, qui le forçant à vivre à Barbizon l’a poussé faute de modèles qui coutaient de l’argent, à peindre ce qu’il avait sous les yeux. – Il avait trouvé de moi (ce n’est pas pour vous parler sottement de moi que je vous dis cela ! ) une femme baisant un pendu & il m’avait fait venir près de lui, pour me parler & me dire une foule de choses qu’il ne disait pas toujours. J’ai eu cette singulière fortune, d’être moi, rien du tout, & personne & n’ayant point mérité de l’être, presqu’un confident des derniers jours, de Francois Millet & de Baudelaire !
– Vieux, & sentant ses jours s’en aller il rêvait encore ses grands décors de femmes & d’hommes nus ! Peu de gens vous dis-je ont connu le vrai Francois Millet. Il avait un terrible œil je vous l’assure Bergerat, lorsqu’il voyait une belle échine de femelle courbée dans la campagne : – Crénom de Dieu, si je pouvais la foutre nue dans un tableau ! mais je ne le vendrais pas & je ne serais plus le peintre religieux de Mr Stevens Arthur !
– Quelquefois il risquait une petite baigneuse nue comme celle que l’on vend chez Braun, avenue de l’opéra & c’était une joie ces fois là !
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– Faites des hommes & des femmes s’embrassant dans les grands paysages. me disait-il – Pour faire cela il fallait être lui ! –
Que voulez vous Mon Cher Ami la tradition des beaux baisers humains a été rompue par cet « ébéniste » comme vous l’appelez, & que les autres appellent Jésus, & qui n’a jamais eu même le courage d’embrasser Madeleine & de foutre du pied au cul à Judas !
À vous, Mon Cher Bergerat, & merci pour le plaisir que vous me donnez à travers le Voltaire
Bergerat signe Caliban ses chroniques du Figaro et l'Homme Masqué celles du Voltaire.
Félicien Rops
Détails
Support
1 feuillets, 3 pages, Vergé, Crème.
Dimensions
177 x 225 mm
Mise en page
Écrite en Plume Noir.
Copyright
KBR