Numéro d'édition: 1374
Lettre de Félicien Rops à [Jules Beaujoint]
Texte copié
Expéditeur
Félicien Rops
Destinataire
Jules Beaujoint
Lieu de rédaction
Mettet, Château de Thozée
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
ML/02237/0015
Collationnage
Autographe
Date de fin
2024/12/21
Lieu de conservation
Belgique, Bruxelles, Archives et Musée de la Littérature
Page 1 Recto : 1
Mon Cher Beaujoint,
Je viens d’envoyer votre lettre à Ernest Parent en lui prescrivant de tâcher de vous la faire parvenir au plus tôt – il y a deux jours qu’elle est partie, – je vous avoue que je n’y comprenais rien – je ne pouvais pas la renvoyer à Maestricht d’où elle venait, j’ai pris le parti de l’expédier à l’Uylenspiegel.
Quand vous aurez l’heureuse idée de remonter la Meuse jusqu’à Namur, écrivez moi un mot, je suis ici jusqu’au quinze septembre, je retournerai à Namur et je vous embêterai à vous montrer les « curiosités de la ville » je me charge de ne pas vous faire grâce d’un bourgeois – je les ferai causer – comme je ne joue d’aucun instrument quand je n’ai rien à faire je joue du bourgeois, j’ai un grand air que je vous ferai entendre : La Symphonie sur le « Rapport des bonnes propriétés » nous tripoterons dans cette moisissure intellectuelle ; il faut vous dire, mon Cher Beaujoint que je ne connais plus que moi qui déteste le bourgeois, comme il est devenu ridicule de se moquer de Mr Prud’homme, il arrive que pour ne pas avoir l’air perruque les artistes lui font des mamours et montent un chœur à sa louange que : maintenant « le bourgeois n’existe plus » que : que maintenant les ex-épiciers d’hier sont les critériums artistiques d’aujourd’hui – que c’est rapin et mauvais genre de se moquer de ces gens là qui en définitive ont du bon vin, des jolies filles et de bon lits » – quant à moi je leur garde ma haine, une haine de lipaye je les déteste comme les vieux Chauvins détestent lAngleterre :
bêtement, d’instinct, sans trop savoir pourquoi ; je ne les fais pas poser pour la Galerie, je les fais poser pour moi – j’ai des jouissances mystérieuses, infinies à faire dévoiler a ces gens là leurs petites passions, leurs petites vengeances, leurs petites haines, et je m’amuse à cette besogne d’égoutier – vous verrez Beaujoint, nous en jouerons – les rapins croient que le bourgeois est fini, comme si le bourgeois n’était pas éternel et incommensurable.
Ici il n’y a pas de bourgeois mais il y a les « bons paysans » – j’habite une espèce de chatelet flanqué de hideuses tourelles Louis XIV qui essayent de se donner un air de bonne société malgré leurs lézardes comme un soulier éculé dont le talon serait encore rouge, les paysans datent de 1750 et appellent « canailles » les sans-culottes de Dumouriez qui ont abimé le chateau, qui leur ont donné les chênes du bois, les carpes des étangs, qui ont fusillé mon respectable grand oncle, qui rossait ces chers paysans, et qui ont donné l’abbaye à la commune, – les pères de ces paysans trouvaient bien que c’était un peu justice de tout cela ; mais le prêtre est revenu et a appris aux fils que les républicans de France étaient des canaillrd et que le chateau était habité par des artistes qui n’allaient pas à la messe et à qui il fallait jeter des pierres quand l’occasion s’en presenterait, – âge d’or !
À bientôt,
Tout à vous
Félicien Rops
au chateau de Thozée près Mettat
Pce de Namur.
Détails
Support
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Dimensions
275 x 216 mm
Copyright
AML