Numéro d'édition: 1533
Lettre de Félicien Rops à [Eugène Demolder]
Texte copié
Expéditeur
Félicien Rops
Destinataire
Eugène Demolder
Lieu de rédaction
Paris, 1 Place Boieldieu
Date
1889/07/22
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
72039/1
Collationnage
Scan
Date de fin
1889/07/22
Cachet d'envoi
1889/07/22
Cachet réception
1889/07/22
Lieu de conservation
France, Paris, Ancienne collection du Musée des lettres et manuscrits
Aucune image
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Paris le 22 juillet 1889
1. Place Boieldieu, (l’immortel auteur de la Dame Blanche !)
Mon Cher Cousin & Ami.
J’ai un fort reliquat de
Faire l’article Rodin !??
Songez qu’il fait ici 32 degrés à l’ombre
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des cheveux de la susdite MlleFanny, & que par ce temps, je me fiche de Rodin comme d’un « mégot ». Ah oui ! – Merci de l’envoi de Votre Revue. Elle m’intéresse, tant grave elle soit, parce que tout m’intéresse, & que vos articles m’affirment de plus en plus dans cette opinion que vous avez une nature d’écrivain. Je suis heureux de voir fleurir dans notre famille un talent qui y fera l’effet d’une primevère sur une tourte.
Je ne veux pas dire du mal de notre famille ! Si au fond j’ai quelques grosses vertus, – oh laissées très intactes ! – je les dois à la famille de ma mère, famille d’honnêtes gens, ce qui devient rare.
Il y avait là de belles & grandes figures de paysans vaillants, presqu’héroïques. Et le grand père Thirionet avec sa bonne figure souriante sous une broussaille de cheveux blancs ; assis dans son vieux fauteuil dans la cuisine du Foriet, s’est glissé bien souvent sous ma pointe, en plein cuivre. Je crois du reste que les artistes véritables ne sont jamais fils d’artistes. Ils sont les fils de gens simples & sains, & ils sortent des générations reposées, cérébralement.
Je songe à Rodin, & peut être pourrai-je vous rendre service à son propos.
Un de mes amis Henri Leconte (ne pas confondre avec Georges Lecomte, – de la feue – cravache, avait fait un article qu’il m’avait prié de donner à Maus, de l’Art Moderne Belge. L’article en question n’étant pas arrivé à temps,
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Maus a opéré lui-même. Maintenant où retrouver Leconte par ce temps de villégiature & de fuite vers la mer, les forets & les rivières ? Puis quelque chose aussi me gêne : Dans cet article Leconte reproche à Rodin, certains pastiches de moi en ses accouplements humains. Il y a du vrai làdedans, & Rodin ne s’en cache pas, mais est ce bien délicat à moi de le laisser dire ? Vous couperiez le passage.
J’espère aller en Belgique, mais ce spectacle extraordinaire du Paris-Exposition me retient malgré moi. Le Boulevard a deux heures du matin est inoubliable. On ne reverra plus ce Paris-ci, pas plus qu’on ne reverra le Paris de la Commune, que j’ai vu, avec les femmes attelées aux bricoles des canons & les descentes de Montmartre avec les piques & les piquiers de 1789, sortis on ne sait d’où, de quelque bizarre & mystérieux musée des Révolutions.
C’est la villa-Protée, à la façon des grandes maîtresses que les mâles épris ne peuvent jamais quitter, & je suis de ses amants ! Elle n’est jamais la même ! Et artiste ! toujours ! dans ces folies, dans ses joies dans ses douleurs.
Quel dommage me disait deux peintres Bruxellois, après avoir vu « la Ville Bleue » que les Parisiens n’ont pas, comme nous, du Bon Sens ! – Mais bonnes Gens, c’est parce qu’il n’ont pas plus, de bon sens, que N. S. Jésus-Christ, qu’ils faut ces choses ! Et parce que les Belges en ont trop, qu’ils ne font rien d’extraordinaire. Chez
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eux c’est toujours : le plat du jour ! Un bon plat & un bon verre de Lambic. Tout ce qu’il faut pour vivre, deux & deux font quatre. Ici : deux & deux font vingt !
Comment ? c’est leur secret à ces endiablés d’art, à ces enragés de Lumière, de Décor, & de Gaieté. – quand je me sens fatigué, je dégringole de mon atelier, je tombe au Boulevard, lequel est magnétisé, électrisé par les effluves de ces milliers de cervelles en gésine. Au bout d’une heure j’escaladrais le Mont Blanc, j’ai pris un bain de flamme. – Voilà pourquoi l’atelier Rops ouvre ses grandes verrières au centre de Paris, où le pouls de la terrible ville bat le plus fièvreusement. Aller au Parc Monceaux, dans les villes à peintres, ou au Luxembourg, sous les arbres ! –
mais c’est Nivelles !
Je vais écrire un mot à Lynen. C’est très bien ces Kermesses, & votre préface les précède de bonne manière. – J’aime bien aussi votre banlieue nocturne du dernier n° de la Société nouvelle. Quel terrible titre ! Il y a donc toujours des gens qui veulent sauver la Société ? mais la Société ne veut pas être sauvée ! Elle veut être battue ! Qui donc est Louis Delattre ? – Voilà ! – Je vais tâcher de retrouver Leconte dans quelque boui-boui extra muros, – ou sous les bosquets de Fontainebleau pleins de colombes gémissantes qui chantent les refrains de Jules Jouy. J’oubliais : prévenez moi quinze jours, (n’oubliez pas !) avant votre arrivée à Paris. J’ai à vous charger d’une petite commission « pour un de nos amis de Bruxelles et qui est d’une certaine gravité.
Entendu n’est ce pas ? Quinze jours d’avance. – Écrivez N°1 Place Boieldieu. on me fait parvenir les lettres en cas d’absence.
Bonnes amitiés de cœur à la famille.
J’espère aller voir Alfred & sa femme à mon prochain voyage.
Bien à vous de très ancienne amitié, Mon Cher Eugène, je vous embrasse comme si je n’avais jamais fait que cela.
Félicien Rops
Détails
Support
1 feuillets, 4 pages.
Dimensions
indisponible x indisponible mm
Copyright
Ancienne collection - Musée des lettres et manuscrits