Numéro d'édition: 1577
Lettre de Félicien Rops à [Eugène Demolder]
Texte copié
Expéditeur
Félicien Rops
Destinataire
Eugène Demolder
Lieu de rédaction
Corbeil-Essonnes, Demi-Lune
Date
1895/12/10
Commentaire de datation
Datation sur base du cachet postal d'envoi.
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
72039/45
Collationnage
Scan
Date de fin
1895/12/10
Cachet d'envoi
1895/12/10
Lieu de conservation
France, Paris, Ancienne collection du Musée des lettres et manuscrits
Aucune image
Page 1 Recto : 1
La ½ Lune Dimanche
Mon Cher Eugène,
Je retrouve ici ma lettre de juin, comme elle indique « un état d’âme » comme disent les Bourgetistes, je te l’envoie, puisque j’avais cru te l’envoyer ! Je ne rentre à Paris que dans quelques jours vers la fin de la Semaine. Comme je te l’ai dit l’affaire a eu lieu le surlendemain, le cinq juin, dans un endroit exquis et discret qu’un de mes témoins connaissait pour avoir essayé de s’y couper la gorge avec un journaliste de l’Écho de Paris. – J’en suis sorti très sauf, j’ai été, extérieurement, d’un sang froid & d’une correction parfaits, au dire de mes témoins ; mais : mauvais moment à passer je t’assure ! Je me suis battu deux fois à l’épée, – pas de comparaison ! L’impression de ce canon de pistolet est indéniable. Puis l’attente !! D’autant plus que j’étais persuadé que « j’étais fichu ». Je savais que le Monsieur tirait très bien. Puis, j’étais mal placé, j’avais derrière moi la muraille d’un jardin. La balle a cassé un morceau de brique à la droite de ma tête, un peu plus bas j’avais l’épaule brisée ou la tête trouée. – Pas entendu le classique sifflement de la balle ! Bref, il n’y a plus à en parler ; – J’aurais maintenant des vers dans le nez, que je l’aurais mérité. – Mais, je ne me repents pas ! Et je recommencerais, comme je me batterais à nouveau pour la même cause ! Et avec le même trac, c’est dans mes nerfs ! Donc voilà
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une sensation nouvelle connue : celle du Monsieur qui vous vise ! et qui veut absolument vous tuer. C’est probablement pour cela qu’il m’a manqué, & sans aucun doute. Ce qui m’embête le plus, c’est qu’il y a enquête ! Une enquête judiciaire ! Comment ? Pourquoi ? Ne voulant pas répondre à un tas de magistrats, (quoique la Suisse protége le tout)., J’ai prétexté un voyage en Belgique. et mon ami le Conseiller Paillet est en train d’arranger cela. Il y a eu évidemment indiscrétion de témoin ; et pour savoir quoi, qui, et qu’est-ce, on prétend que le duel a eu lieu à Avricourt, chez un Monsieur qui prète son jardin, pour cinquante frs aux gens dans l’embarras. Finesses de magistrats curieux, et coutures de fil blanc !
Reçu ton froment ! Merci ! – Et dire que ce froment est français !!
À bientôt & au Galop de Course !
Ton jeune copain
Fély
Et maintenant respirons les roses ! Et resourions aux dames, Je l’ai bien gagné ! La Tour Eiffel va me regarder encore d’un œil jaloux. – Et je vais bien travailler cet hiver ; je ne faisais plus rien ! Les femmes cela vous inspire de grandes choses, mais cela empêche de les exécuter !
F.R
Page 1 Verso : 3
N.B. Encore un mot : s’il t’arrive d’avoir une affaire d’honneur ou de déshonneur prends le témoin qui a eu le plus de duels. J’ai eu ce flair : un de mes témoins était un vieux, (pas vieux !!! mon âge !!!) journaliste parisien très célèbre par son talent, & ses duels. Rien n’est bon et rassurant comme ce genre d’animaux. Il n’a jamais voulu que je dise que je tirerais en l’air, avant l’affaire ; il me disait :
« Il tire bien c’est vrai, mais il manque cependant, comme tout le monde. De plus, je le sais très couard au fond. Ici, il est forcé de vous forcer à vous battre, et vous ne vous êtes pas laisser forcer, puisque vous avez été à lui, le premier. Ce qui a dû déjà l’impressionner ! Comme il sait que vous ne tirez pas mal non plus, qu’il ne sait pas, ou plutôt qu’il croit, que, en vertu de certaines raisons, vous le flanqueriez très bien par terre, il aura le trac, ne voudra pas vous manquer et vous manquera ! Puis comme il n’est pas habitué au tir au commandement, l’affaire m’étonnerait si un malheur en survenait. En outre notez que tout homme dont on a séduit la femme, la maîtresse, la sœur ou la fille, est persuadé, – par une loi de nature, que l’auteur du méfait est capable de toutes les félonies et est un monstre, il voudra vous tuer. Un homme en duel qui veut en tuer un autre au pistolet le manque toujours ! Voilà ! Rien n’est tonique comme ce genre de propos, je t’assure. Et si, un jour, comme tu aimes les madrigaux qui commencent à la cheville & finissent au ventre, tu es forcé de traîner dans le sang ta toge magistrale, pense à mon avis.
À t.
F.
Détails
Support
2 feuillets, 3 pages.
Dimensions
indisponible x indisponible mm
Copyright
Ancienne collection - Musée des lettres et manuscrits