Numéro d'édition: 1698
Lettre de Félicien Rops à [Armand Rassenfosse]
Texte copié
Expéditeur
Félicien Rops
Destinataire
Armand Rassenfosse
Lieu de rédaction
Corbeil-Essonnes, Demi-Lune
Date
1889/11/17
Commentaire de datation
Datation complétée sur base de l'apostille et du cachet postal d'envoi. À noter que le 17 novembre tombe bien un dimanche en 1889.
Type de document
Lettre
N° d'inventaire
II/6957/19/27
Collationnage
Autographe
Date de fin
1889/11/17
Cachet d'envoi
1889/11/18
Cachet réception
1889/11/19
Lieu de conservation
Belgique, Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Manuscrits
Apostille
1889
Page 1 Recto : 1
Moulin-Galant
La Demi Lune.
Dimanche 17 nov.
Je vous remercie de vos envois « d’essais » je n’ai pas encore eu le temps de les examiner longuement. Ils sont arrivés au moment de mon départ pour la campagne, & je n’ai guère fait que les « entrevoir.
Votre vernis ressemble beaucoup à un vernis mou que j’avais trouvé, et avec lequel j’ai fait la Vendangeuse et Très vieille, deux petites planches que je vous enverrai au commencement de la semaine prochaine, Maturitéa été faite avec le même vernis. J’avais fait ce vernis sans peser mes ingredients, au petit bonheur (c’est celui dont je vous ai donné la formule : à base d’ambre,) – et je ne sais comment j’ai fait mon compte, quand la boule a été usée, j’en ai refait du nouveau & comme je n’avais pas mesuré les quantités, je n’ai jamais pu le refaire exactement. Il avait les mêmes défauts et les mêmes qualités que celui que vous venez de trouver à peu près avec la même formule.
C’est pour vous éviter le désagrement de ne plus « le retrouver » que je vous ai recommandé de peser vos matériaux soigneusement.
Les mêmes qualités : grain excellent, diaphanéité parfaite, s’appliquant avec facilité sur la planche, et
Page 1 Verso : 2
offrant une résistance suffisante aux acides. Je l’appliquais au pinceau, puis je roulais, je chauffais en dernier lieu. Pour le rendre liquide, j’y ajoutais de l’essence de lavande, avant de l’appliquer, je broyais le tout sur un marbre.
Même défauts aussi :
Très sensible aux moindres attouchements, aux grains de poussière etc, donc se rayant et se picotant facilement et comme le vôtre presque impossible à la retouche
J’ai essayé de durcir ce vernis, il ne donnait plus de bons résultats que très légèrement chauffé. Je travaillais sur ma boîte à imprimer, le cuivre posé sur la tôle légerement chauffée par le gaz ou par ma lampe à esprit de vin dont je ne laissais brûler qu’un bout de mêche, mais cela n’était pas d’une commodité extrême !
Il ne faut jamais espérer obtenir un vernis mou blanc qui ne laisse pas remordre les « grands noirs » mais celui que vous venez de trouver, lorsqu’il est posé mince, (et il faut le poser mince pour obtenir un bon travail,) employé comme « retoucheur » laisse remordre toute morsure ordinaire du premier travail et il donne une teinte générale sur les premiers travaux même légers. C’est qu’entre un croquis de peu d’importance et l’exécution complète d’une planche achevée il y a une grande différence, et l’on ne peut être assuré de l’excellence d’un vernis que si l’on a fait avec ce vernis une planche jusqu’à sa finition. C’est ce que j’ai essayé de faire, & je n’ai pu aboutir. Je devais faire au galop & même au triple galop, pour venir en aide à la
Page 2 Recto : 3
veuve de Villiers de l’Isle-Adam, un bout de frontispice pour son livre : Chez les Passants et j’ai voulu le faire avec notre nouveau vernis. J’ai décalqué mon croquis avec un crayon dur, puis j’ai fait mordre le trait. J’ai reverni à nouveau après la morsure, qui était d’ailleurs un peu trop forte, pour un simple trait, et j’ai ensuite ajouté au crayon tous les travaux. À la remorsure tous les travaux premiers ; le trait, se sont mis à remordre partout, même sur la pierre tombale où vous pourrez lire : Tribulat Bonhomet, car je vous envoie une épreuve du 2e État et une épreuve du 3e état. Dans ce troisième état, la planche a été a peu près sauvée à l’aide de la pointe sèche et de la roulette.
Je me résume : Actuellement nous n’avons pas de meilleur vernis-mou blanc que le nôtre, dont vous avez « pondéré» la formule. Il le faut donc garder précieusement, (et je serai charmé que vous m’en fassiez quelques boules). Il est parfaitpour les croquis, faits à une seule morsure. Car comme pour les morsures différentes, il faut sécher la planche à l’aide du papier buvard, la seule application du papier buvard le fatigue. Tout au plus pourrais-t-on faire deuxmorsures. À la troisième les petites tares s’accentuent, & il faut les boucher avec le petit vernis, et à la loupe.
Quant au procédé Moreels, il peut peut être rendre des services, mais je n’en vois pas encore trop l’utilité, ou du moins l’application. Effectivement, la grande question serait d’employer ce procédé, comme économie de temps et surtout pour garder son dessin. Si je dois le faire sur papier calque bleu, je le perds, puisqu’un dessin sur papier calque bleu, n’est pas « un dessin ».
Il y a un procédé, que j’ai employé « dans
Page 2 Verso : 4
les temps » pour faire des photolithographies, & qui manié par Mr Moreels, homme adroit & ingénieux donnerait des résultats certainset fort intéressants, j’en suis convaincu. Mr Simoneau nous donnait des plaques de verre comme les plaques des photographes Ces plaques étaient enduites d’un vernis mat composé de jaune de Naples broyé impalbable, & d’une gomme, arabique ou autre, qui le faisait s’appliquer en couches très minces sur un des cotés du verre. – On posait cette plaque sur un chiffon noir tendu à plat sur un pupitre, ou sur un simple papier noir, et sur le coté où se trouvait l’enduit à l’aide de plumes d’acier, de pointes à eau-forte, ou de cure-dents, on dessinait. On faisait en enlevant l’enduit un dessin négatif, mais comme chaque trait que l’on enlevait apparaissait en noir à cause du chiffon ou du papier de dessous, noirs, on dessinait en positif, ce qui était très agréable. Simoneau emportait la plaque de verre aussitot terminée, et alors ce qu’il en faisait en tête à tête avec sa pierre lithographique, c’était le secret des Dieux ! Le résultat était une imitation lithographique d’eau-forte sur pierre surprenante, et qui serait encore bien plus surprenante sur cuivre, & me semble-t-il aussi faisable, soit sur cuivre soit sur acier. Si on faisait une morsure très légère on aurait pour être reprise à la pointe, avec vernis transparent une admirable préparation d’eau-forte. Parlez en a Mr Morreels, & s’il veut s’en occuper, nous aurons des préparations d’eaux fortex à la pointe admirables, et qui nous épargnerons beaucoup de temps.
Comme je vous l’ai dit : on ne peut que très difficilement faire au vernis mou des planches très faites sans les préparer à l’aqua-tinte avec la boite.
Lorsque vous aurez besoin d’une boîte, dites-le
Page 2 Recto : 1
moi : je suis forcé d’en faire faire une nouvelle qui puisse entrer dans mon atelier, qui par la stupidité des architectes parisiens, n’a pas une seule porte par où mon armoire à grain puisse passer !! – On ne peut ni recouper ni démolir, une armoire à grain, de sorte que dès que j’aurai ma petite boite, qui sera faite dans la proportion de mes portes, l’autre me deviendra inutile. Elle m’a couté 135 francs et je la céderai à moitié prix. Elle est très bonne (justement à cause de sa dimension), mais je n’avais pas prévu en la faisant faire un changement de domicile. Elle est très légère, en petite vitesse cela ne coûte rien.
Ce n’est pas pour vous « placer mon armoire que je vous préviens, c’est parce que c’est un bon marché que je vous propose, et l’école Liégeoise a besoin de cet outil. S’il y a une armoire à grain à Liége, n’en parlons plus ; car ici j’ai des amis qui la retiennent, – ceux qui ont des portes sérieuses.
Je vous envoie cinq ou six épreuves d’essai. Vous recevrez cela Mercredi très probablement.
Je vous serre bien affectueusement la main, & à bientôt une nouvelle lettre.
F. Rops
Détails
Support
2 feuillets, 5 pages, Vergé, Crème.
Dimensions
177 - 177 x 223 - 111 mm
Mise en page
Écrite en Plume Noir.
Copyright
KBR