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Demi-Lune – Essonnes.
octobre 1891
Mon Cher Rasenfosse,
Il faut que vous m’excusiez ainsi que Mr Moreels de ce long et inexplicable silence. Depuis trois mois je vis dans de profondes tristesses ne mettant pas le pied à Paris, réfugié tantôt en Bretagne, tantôt ici, mais toujours plongé en pleine nature. La mer et les Bois ce sont pour moi les grands Consolateurs, les apaisants. Vis à vis d’eux l’on sent le côté transitoire, fugace & fragile de toutes les douleurs, et ils ont de mystérieuses paroles qui endorment et calment. Chaque fois que la vie m’est cruelle, je vais aux forets et aux plages, je m’isole comme un animal blessé, et la nature me berce, me soigne & me guérit.
Cherchez la femme ! Elle est toujours où s’entend la plainte humaine. Et ce qui rend plus amères certaines souffrances, c’est le sentiment qu’on en est soi-même la cause. – Tant que l’amour reste, tout est réparable et si je vous écris Mon Cher Rasenfosse, c’est que les jours me semblent moins sombres et que des yeux chers se rouvrent à l’espérance et à la vie. Celle qui a voulu mourir sourit encore, et elle sait que les feuilles d’octobre peuvent tomber, puisqu’elles renaîtront plus vertes & plus fraîches. Et voilà ce que c’est, que de ne pouvoir vieillir ! Je m’en veux !
À demain, je vous écrirai très longuement, le facteur attend ma lettre, cela se passe comme cela ici ! en Gâtinais !
Votre trop jeune ami
Félicien Rops